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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tableau1. Nous y reconnaissons un faire qui se rapproche trop de Véronèse.
Parmi les portraits des dernières années de Titien figure la Jeune femme tenant
un vase, de la Galerie de Dresde (n° 173), que nous retrouvons dans la Femme à l’écu-
reuil, de la Galerie de Vienne2, et dans la Catarina Cornaro (n° 252. auCapt. G.-L.
Holford). Dans les trois tableaux, elle porte une robe demi-ouverte laissant voir
la naissance de la gorge, avec une rose négligemment attachée. Autour du bras
gauche, un bracelet paré de pierres précieuses auquel est lié par une petite chaîne
d'or, comme dans le tableau de Vienne, l'écureuil. Différente, dans la Catarina
Cornaro, est la parure de la tête, surmontée d'une coiffe très haute et couverte de
joyaux. A gauche, par une fenêtre, on embrasse le paysage indiqué en quelques
touches de vert jaune et de bleu. Cette peinture attire par sa tonalité vigoureuse,
malgré l'expression de la tète et le manque de finesse du modelé. Il suffit en outre
de regarder le portrait authentique de la reine de Chypre, par Gentile Bellini,
pour se convaincre que cette femme ne peut être Catarina Cornaro.
Vers la fin de sa vie, Titien reprend les sujets du Nouveau Testament. De plus
en plus, il abandonne les couleurs brillantes d'autrefois, au point que certaines de
ses toiles paraissent monochromes. La New Gallery nous offre une petite esquisse
de la Gène de l'Escurial qui en rend bien l’effet général (n° 153. à lord Wahtagè)
et un petit tableau de la main même du maître, la Vierge avec l'Enfant (n° 244.
à M. L. Mond, provenant de la collection Dudley3)- En regardant ce tableau à
distance, on a l'impression d’un coloris plein de force; en se rapprochant, on
découvre à peine des couleurs voyantes, très effacées par des larges touches de blanc
et de jaune. La chair est modelée avec une vigueur et un éclat qui font penser
à un fervent admirateur de Titien, à Rembrandt. Les formes sont traitées magis-
tralement : l’Enfant presse de ses deux mains le sein de sa mère qui se penche sur
lui, silencieuse, pleine de graves pensées, les paupières à moitié baissées sur les yeux
sombres. Le génie du peintre a communiqué à celte scène d’allaitement une
grandeur telle qu'il est impossible de ne pas y reconnaître la Mère divine et
l'Enfant Jésus, quoique le catalogue lui donne pour titre une Mère avec son enfant.
Quelques mots encore sur plusieurs tableaux donnés à l'Exposition sous le nom
de Titien, attributions inacceptables sans qu’on puisse désigner les véritables
auteurs. Parmi les Vierges et les Saintes Familles, on remarque surtout cette petite
Vierge avec l'Enfant qui, longtemps regardée comme une œuvre de la jeunesse de
Titien4, est maintenant anonyme (n° 1, à Mrs R.-H. Benson). Marie soutient de
ses deux mains l’Enfant aux teintes roses qui a encore quelque ressemblance avec
les enfants de la dernière époque de Giovanni Bellini. La Vierge rappelle
vaguement par son type les femmes de Pal ma Vecchio. Le tronc d'arbre à
droite avec le paysage vigoureusement rendu en deux teintes (vert et bleu) se
rencontre aussi chez ce dernier. En tout cas, ce beau petit tableau ne saurait
être d'un jeune artiste, une main exercée y est très visible. L'Exposition donne
1. 11 en est de même des esquisses des deux tableaux au Musée de Madrid (nos 482 et 483).
2. Mauvaise gravure de L. Vorstermann, dans le Theatrum pictorum de Téniers. Le
tableau est donné avec raison comme un travail d’atelier.
3. Ce tableau a dû séjourner autrefois en France. Il y en a, en effet, une gravure de
Petrus de Jode junior avec privilège du Roy.
4. Crowe et Cavalcaselle, I, p. 111.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tableau1. Nous y reconnaissons un faire qui se rapproche trop de Véronèse.
Parmi les portraits des dernières années de Titien figure la Jeune femme tenant
un vase, de la Galerie de Dresde (n° 173), que nous retrouvons dans la Femme à l’écu-
reuil, de la Galerie de Vienne2, et dans la Catarina Cornaro (n° 252. auCapt. G.-L.
Holford). Dans les trois tableaux, elle porte une robe demi-ouverte laissant voir
la naissance de la gorge, avec une rose négligemment attachée. Autour du bras
gauche, un bracelet paré de pierres précieuses auquel est lié par une petite chaîne
d'or, comme dans le tableau de Vienne, l'écureuil. Différente, dans la Catarina
Cornaro, est la parure de la tête, surmontée d'une coiffe très haute et couverte de
joyaux. A gauche, par une fenêtre, on embrasse le paysage indiqué en quelques
touches de vert jaune et de bleu. Cette peinture attire par sa tonalité vigoureuse,
malgré l'expression de la tète et le manque de finesse du modelé. Il suffit en outre
de regarder le portrait authentique de la reine de Chypre, par Gentile Bellini,
pour se convaincre que cette femme ne peut être Catarina Cornaro.
Vers la fin de sa vie, Titien reprend les sujets du Nouveau Testament. De plus
en plus, il abandonne les couleurs brillantes d'autrefois, au point que certaines de
ses toiles paraissent monochromes. La New Gallery nous offre une petite esquisse
de la Gène de l'Escurial qui en rend bien l’effet général (n° 153. à lord Wahtagè)
et un petit tableau de la main même du maître, la Vierge avec l'Enfant (n° 244.
à M. L. Mond, provenant de la collection Dudley3)- En regardant ce tableau à
distance, on a l'impression d’un coloris plein de force; en se rapprochant, on
découvre à peine des couleurs voyantes, très effacées par des larges touches de blanc
et de jaune. La chair est modelée avec une vigueur et un éclat qui font penser
à un fervent admirateur de Titien, à Rembrandt. Les formes sont traitées magis-
tralement : l’Enfant presse de ses deux mains le sein de sa mère qui se penche sur
lui, silencieuse, pleine de graves pensées, les paupières à moitié baissées sur les yeux
sombres. Le génie du peintre a communiqué à celte scène d’allaitement une
grandeur telle qu'il est impossible de ne pas y reconnaître la Mère divine et
l'Enfant Jésus, quoique le catalogue lui donne pour titre une Mère avec son enfant.
Quelques mots encore sur plusieurs tableaux donnés à l'Exposition sous le nom
de Titien, attributions inacceptables sans qu’on puisse désigner les véritables
auteurs. Parmi les Vierges et les Saintes Familles, on remarque surtout cette petite
Vierge avec l'Enfant qui, longtemps regardée comme une œuvre de la jeunesse de
Titien4, est maintenant anonyme (n° 1, à Mrs R.-H. Benson). Marie soutient de
ses deux mains l’Enfant aux teintes roses qui a encore quelque ressemblance avec
les enfants de la dernière époque de Giovanni Bellini. La Vierge rappelle
vaguement par son type les femmes de Pal ma Vecchio. Le tronc d'arbre à
droite avec le paysage vigoureusement rendu en deux teintes (vert et bleu) se
rencontre aussi chez ce dernier. En tout cas, ce beau petit tableau ne saurait
être d'un jeune artiste, une main exercée y est très visible. L'Exposition donne
1. 11 en est de même des esquisses des deux tableaux au Musée de Madrid (nos 482 et 483).
2. Mauvaise gravure de L. Vorstermann, dans le Theatrum pictorum de Téniers. Le
tableau est donné avec raison comme un travail d’atelier.
3. Ce tableau a dû séjourner autrefois en France. Il y en a, en effet, une gravure de
Petrus de Jode junior avec privilège du Roy.
4. Crowe et Cavalcaselle, I, p. 111.