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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
none la Fille d’Hêrodiade (n° 137, au Capt. G.-L. Holford), où les souvenirs de Titien 1
sont très visibles ; la figure principale est d’ailleurs fort belle. De Pordenone le
Jeune (Bernardino Licinio) est le jeune homme posant sa main sur une tête de mort
(n° 91, à lady Louisa Alisburton), très pâle de coloris, surtout si on le compare avec
le ton chaud du Portrait de jeune homme, de la National Gallery (n° 1309)2 3.
Le dernier des maîtres formés à l'école d'Alvise Vivarini est Lorenzo Lotto,
qui, par la sensibilité de ses nerfs, nuisible souvent à l'effet général de ses tableaux,
nous paraît si moderne, et l'est en effet plus qu'aucun de ses contemporains. Les meil-
leures de ses compositions se trouvent encore soit dans de petites bourgades des envi-
rons de Rergame, soit dans les Marches. L'Exposition nous offre une petite Danaé
ou Y Amour sacré et V Amour profane (n° 80, à M. W.-M. Conway), probablement
le premier tableau de l'artiste qui nous soit parvenu, certes une œuvre de ses
débuts. Les personnages, une jeune femme couchée, au-dessus d'elle l’Amour lui
jetant des fleurs, et un couple de satyres, trahissent, malgré les promesses d’un
grand talent, une naïve inexpérience dominée par la double influence d’Alvise
Vivarini et de Jacopo de Barbari8. Bien plus original, et encore inconnu à cette
épo-que (vers 4500), est le simple et grandiose paysage éclairé par un coucher de
soleil. On retrouvera ce même sens exquis du paysage dans le Saint Jérôme de Lotto
(de 1500), ce petit joyau du Louvre 4.
Tout grand paysagiste qu’il est, Lotto nous est [dus connu par ses admirables
portraits, pleins de la plus fine psychologie, aux regards profonds, qui semblent
raconter leur histoire. La National Gallery en a trois de premier ordre, Agostino
et Niccolo délia Torre, de 1315 (n° 699), le Protonotaire Giuliano (n° 1105), et le
Groupe de famille (n° 1048). Non moins remarquables les deux portraits de l'Exposi-
tion: Andrea Odoni (n°222, Hampton Court)5, étonnant de vigueur et de simplicité, au
milieu de ses antiques, qu'il semble présenter au spectateur, et la belle Lucrèce,
(n° 218, au Capt. G.-L. Holford)6, portrait d’une femme qui, en voulant être repré-
sentée dans le rôle de la vertueuse Romaine, a poussé le peintre sur la pente d’un
maniérisme, racheté par le charme pictural cpii se dégage (tons brun clair et vert
olive de la robe) de la large lumière qui éclaire le côté gauche de la toile et surtout
des yeux fixant le spectateur avec une expression curieuse, irritante même 7.
Paris Bordone, le plus brillant peut-être des élèves du Titien, quelquefois
1. L'homme à gauche est peint d’après l’Alphonse d’Este dans le tableau du Salon
carré du Louvre. La tête de saint Jean-Baptiste estcelledela Salomé du palais DoriaPamlîli.
Autrefois à la Gai du duc d’Orléans. Gravé par Schlotterbeek sous le nom de Palma.
2. Dans la manière de Pordenone le Jeune : Jeune femme qui touche de sa main droite
son collier de perles (n° 156, au Capt. G.-L. Holford ; donnée à Titien) ; une Femme avec un
hemme armé (n°75, au Capt. G.-L. Holford) nous parait une copie d’après un Pordenone.
3. Voir, pour la comparaison détaillée avec Alvise et Jacopo : Berenson, Lotto,
p. 2, et l’étude ci-dessus de Mme Mary Logan.
4. Lotto le Jeune est aussi rappelé par la Vierge entourée de saints (n° 164, au duc de
Westminster, sous le nom de Giovanni Bellini), copie du tableau de Brigdcwater House.
5. Ce portrait est décrit dans la Notizia d’opere di disegno, p. 159.
6. Voir la reproduction dans la Gazette des Beaux-Arts, 3a pér., t. XXXV (1887),
p. 259.
7. Un portrait de femme, exposé sous le nom de Lotto (n° 212, au Capt. G.-L. Holford),
pourrait être une copie d’après Cavazzola.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
none la Fille d’Hêrodiade (n° 137, au Capt. G.-L. Holford), où les souvenirs de Titien 1
sont très visibles ; la figure principale est d’ailleurs fort belle. De Pordenone le
Jeune (Bernardino Licinio) est le jeune homme posant sa main sur une tête de mort
(n° 91, à lady Louisa Alisburton), très pâle de coloris, surtout si on le compare avec
le ton chaud du Portrait de jeune homme, de la National Gallery (n° 1309)2 3.
Le dernier des maîtres formés à l'école d'Alvise Vivarini est Lorenzo Lotto,
qui, par la sensibilité de ses nerfs, nuisible souvent à l'effet général de ses tableaux,
nous paraît si moderne, et l'est en effet plus qu'aucun de ses contemporains. Les meil-
leures de ses compositions se trouvent encore soit dans de petites bourgades des envi-
rons de Rergame, soit dans les Marches. L'Exposition nous offre une petite Danaé
ou Y Amour sacré et V Amour profane (n° 80, à M. W.-M. Conway), probablement
le premier tableau de l'artiste qui nous soit parvenu, certes une œuvre de ses
débuts. Les personnages, une jeune femme couchée, au-dessus d'elle l’Amour lui
jetant des fleurs, et un couple de satyres, trahissent, malgré les promesses d’un
grand talent, une naïve inexpérience dominée par la double influence d’Alvise
Vivarini et de Jacopo de Barbari8. Bien plus original, et encore inconnu à cette
épo-que (vers 4500), est le simple et grandiose paysage éclairé par un coucher de
soleil. On retrouvera ce même sens exquis du paysage dans le Saint Jérôme de Lotto
(de 1500), ce petit joyau du Louvre 4.
Tout grand paysagiste qu’il est, Lotto nous est [dus connu par ses admirables
portraits, pleins de la plus fine psychologie, aux regards profonds, qui semblent
raconter leur histoire. La National Gallery en a trois de premier ordre, Agostino
et Niccolo délia Torre, de 1315 (n° 699), le Protonotaire Giuliano (n° 1105), et le
Groupe de famille (n° 1048). Non moins remarquables les deux portraits de l'Exposi-
tion: Andrea Odoni (n°222, Hampton Court)5, étonnant de vigueur et de simplicité, au
milieu de ses antiques, qu'il semble présenter au spectateur, et la belle Lucrèce,
(n° 218, au Capt. G.-L. Holford)6, portrait d’une femme qui, en voulant être repré-
sentée dans le rôle de la vertueuse Romaine, a poussé le peintre sur la pente d’un
maniérisme, racheté par le charme pictural cpii se dégage (tons brun clair et vert
olive de la robe) de la large lumière qui éclaire le côté gauche de la toile et surtout
des yeux fixant le spectateur avec une expression curieuse, irritante même 7.
Paris Bordone, le plus brillant peut-être des élèves du Titien, quelquefois
1. L'homme à gauche est peint d’après l’Alphonse d’Este dans le tableau du Salon
carré du Louvre. La tête de saint Jean-Baptiste estcelledela Salomé du palais DoriaPamlîli.
Autrefois à la Gai du duc d’Orléans. Gravé par Schlotterbeek sous le nom de Palma.
2. Dans la manière de Pordenone le Jeune : Jeune femme qui touche de sa main droite
son collier de perles (n° 156, au Capt. G.-L. Holford ; donnée à Titien) ; une Femme avec un
hemme armé (n°75, au Capt. G.-L. Holford) nous parait une copie d’après un Pordenone.
3. Voir, pour la comparaison détaillée avec Alvise et Jacopo : Berenson, Lotto,
p. 2, et l’étude ci-dessus de Mme Mary Logan.
4. Lotto le Jeune est aussi rappelé par la Vierge entourée de saints (n° 164, au duc de
Westminster, sous le nom de Giovanni Bellini), copie du tableau de Brigdcwater House.
5. Ce portrait est décrit dans la Notizia d’opere di disegno, p. 159.
6. Voir la reproduction dans la Gazette des Beaux-Arts, 3a pér., t. XXXV (1887),
p. 259.
7. Un portrait de femme, exposé sous le nom de Lotto (n° 212, au Capt. G.-L. Holford),
pourrait être une copie d’après Cavazzola.