LES SALONS DE 1895.
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d’examiner si l’art gothique et celui de maintenant sont indemnes
de tout emprunt au dehors et s’il n’y eut pas, à ces époques trop
lointaines ou trop proches pour livrer leur secret, assimilation d’élé-
ments, non plus italiens, mais quand même étrangers. Tout au plus
rappellera-t-on, en passant, que l’originalité de notre école, à l’avis
du mieux informé de ses historiens, M. Ph. de Chennevières, « est
de digérer les principes les plus divers en demeurant constamment
elle-même et en fondant tout dans un caractère à elle bien propre de
noblesse, de clarté, d’élégance ». De là l’extraordinaire variété dont
certains voudraient lui faire un grief, tandis qu’elle esttout à l’honneur
du génie français. L'exemple de M. Fantin-Latour intervient utilement
à l’appui de notre dire; son cas ne laisse pas que de mettre les théori-
ciens dans un embarras extrême; ils voudraient à la fois lui faire
fête et le honnir, à cause de la diversité de son œuvre ; en conscience,
tout s’accorde en elle à proclamer un peintre de vraie lignée fran-
çaise. Avec une douceur toute prudhonienne, le rayon lunaire effleure
le corps souple de la Nuit qui vogue, lasse, ensommeillée sur le nuage
qui fuit; dans le tableau des Baigneuses, l’ami de Manet se reconnaît
à l’aisance des poses, à la fine transparence de l’enveloppe lumineuse;
mais le style du paysage, son importance calculée à souhait pour la
mise en valeur des figures, ne sont-ils pas pareils que dans telle
scène mythologique du siècle passé? La nature semblait à Eugène
Delacroix un dictionnaire que les pauvres d’esprit copient et où les
imaginatifs trouvent une substance qu’ils accommodent au gré de
leur conception ; M. Fantin-Latour se range parmi ces « imaginatifs » ;
en ce temps de photographisme à outrance, il veut, il entend composer.
Ce n’est pas à dire que l’exécution se trouve sacrifiée à l’idée, au sen-
timent; celui qui vécut dans l’admiration fervente et la fréquenta-
tion assidue des maîtres vénitiens, sait tirer des effets imprévus,
tout particuliers, du grain de la toile, de la pierre, du pastel, et
chaque jour se fortifie sa prédilection pour les éclats et les ruis-
sellements, pour les diaprures étincelantes des nuances riches ou
graves.
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Cependant les affinités entre les divers arts ne suffiraient pas à
expliquer de quelle façon il advint à M. Fantin-Latour de com-
menter par le pinceau ou par le crayon l’œuvre des Schumann et
des Brahms, des Berlioz et des Wagner. Passionné de musique, le
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d’examiner si l’art gothique et celui de maintenant sont indemnes
de tout emprunt au dehors et s’il n’y eut pas, à ces époques trop
lointaines ou trop proches pour livrer leur secret, assimilation d’élé-
ments, non plus italiens, mais quand même étrangers. Tout au plus
rappellera-t-on, en passant, que l’originalité de notre école, à l’avis
du mieux informé de ses historiens, M. Ph. de Chennevières, « est
de digérer les principes les plus divers en demeurant constamment
elle-même et en fondant tout dans un caractère à elle bien propre de
noblesse, de clarté, d’élégance ». De là l’extraordinaire variété dont
certains voudraient lui faire un grief, tandis qu’elle esttout à l’honneur
du génie français. L'exemple de M. Fantin-Latour intervient utilement
à l’appui de notre dire; son cas ne laisse pas que de mettre les théori-
ciens dans un embarras extrême; ils voudraient à la fois lui faire
fête et le honnir, à cause de la diversité de son œuvre ; en conscience,
tout s’accorde en elle à proclamer un peintre de vraie lignée fran-
çaise. Avec une douceur toute prudhonienne, le rayon lunaire effleure
le corps souple de la Nuit qui vogue, lasse, ensommeillée sur le nuage
qui fuit; dans le tableau des Baigneuses, l’ami de Manet se reconnaît
à l’aisance des poses, à la fine transparence de l’enveloppe lumineuse;
mais le style du paysage, son importance calculée à souhait pour la
mise en valeur des figures, ne sont-ils pas pareils que dans telle
scène mythologique du siècle passé? La nature semblait à Eugène
Delacroix un dictionnaire que les pauvres d’esprit copient et où les
imaginatifs trouvent une substance qu’ils accommodent au gré de
leur conception ; M. Fantin-Latour se range parmi ces « imaginatifs » ;
en ce temps de photographisme à outrance, il veut, il entend composer.
Ce n’est pas à dire que l’exécution se trouve sacrifiée à l’idée, au sen-
timent; celui qui vécut dans l’admiration fervente et la fréquenta-
tion assidue des maîtres vénitiens, sait tirer des effets imprévus,
tout particuliers, du grain de la toile, de la pierre, du pastel, et
chaque jour se fortifie sa prédilection pour les éclats et les ruis-
sellements, pour les diaprures étincelantes des nuances riches ou
graves.
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Cependant les affinités entre les divers arts ne suffiraient pas à
expliquer de quelle façon il advint à M. Fantin-Latour de com-
menter par le pinceau ou par le crayon l’œuvre des Schumann et
des Brahms, des Berlioz et des Wagner. Passionné de musique, le