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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l’opinion de certain historien d’art français dont les jugements sont loin de
faire autorité, M. l'abbé Broussolle, avec son instinct juste, proteste contre des
identifications tirées par les cheveux et parle de la possibilité d’une rencontre
fortuite. Ici, il est dans le vrai. Bien plus, il incline à croire que le sculpteur du
Saint Sébastien en question — il s’agit de Matteo Civitali — a pu s’inspirer du
peintre. Mais ne dépasse-t-il pas le but quand il parle de l’influence exercée par
le Pérugin sur les bas-reliefs des délia Robbia !
A côté de ces divers enseignements, il est indispensable d’étudier l’influence
de l’art classique : elle éclate à tout instant, dans les motifs d’architecture
comme dans les ornements; mais le Pérugin, qui possédait, en dépit des appa-
rences, une puissance d’assimilation peu commune, se garda bien de les laisser
détonner, à la façon de certains Florentins : il réussit à les relier au reste de la
composition, au style des draperies; bref, l’harmonie de l’ensemble n’en fut pas
troublée.
Avec le chapitre Ier du livre II, nous abordons l’étude du Pérugin d’avant la
Sixtine, c’est-à-dire d’avant 1480. Pendant cette première période, ignorant
encore la peinture d’extase, le maître, affirme-t-on, ne sacrifie qu’aux préoccupa-
tions du naturalisme. La seconde période serait la période romaine (1480-1492),
la troisième la période florentine (1493-1506), la dernière enfin, la véritable
période ombrienne (1506-1524). M. l’abbé Broussolle ne se dissimule pas les diffi-
cultés de cet essai de classification; trois dates et quelques tableaux, voilà le fond
sur lequel il lui faut tabler. Et, avec une bonne foi qui l'honore, il ajoute qu’il
est parti d’une hypothèse que les faits sont venus ensuite confirmer.
Trop souvent, ici et ailleurs, j’ai proclamé ma défiance à l’égard de la
méthode conjecturale — ces deux termes ne jurent-ils pas cl’être accouplés! Je
ne suivrai donc pas l'historien du Pérugin dans les déductions qu’il tire de ses
prémisses. Bornons-nous à constater que les Madones de la cathédrale de Pérouse,
du musée du Louvre (la plus petite des deux, et encore est-elle douteuse), et
du musée de Naples, ainsi que le Saint Sébastien de Cerqueto, ont, en effet, une
certaine verdeur qui les distingue des tableaux de la période postérieure.
M. l’abbé Broussolle a eu raison d’opposer au Saint Sébastien de Cerqueto celui
du Louvre, ce splendide morceau de nu, déjà si sûr et si large. Le style diffère
du tout au tout.
Revenons aux productions de la jeunesse de Pietro Vannucci. L'Adoration
des Mages de la Pinacothèque de Pérouse, attribuée par le catalogue à Fiorenzo
di Lorenzo et revendiquée par M. Broussolle en faveur du Pérugin, me paraît trop
douteuse pour pouvoir être prise en considération. Elle détonne dans l’œuvre du
maître, par la recherche de costumes pittoresques, non moins que par le choix
des types, minces et comme aigrelets.
Une autre pierre angulaire du système chronologique de M. l’abbé Brous-
solle, c’est le Christ en croix, entre des saints, tableau qui, de l’ancien couvent
des Jésuates, a été transporté au couvent de la Calza, où il se trouve de nos jours
encore. L’auteur — et je me plais à lui rendre ce témoignage — discute avec
infiniment d’habileté les attaques dirigées contre l’authenticité de ce tableau, et
prouve, avec une quasi-certitude, son identité avec le tableau signalé par Yasari.
Mais l’aspect même du Christ en croix ne lui ralliera, je le crains bien, que peu
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l’opinion de certain historien d’art français dont les jugements sont loin de
faire autorité, M. l'abbé Broussolle, avec son instinct juste, proteste contre des
identifications tirées par les cheveux et parle de la possibilité d’une rencontre
fortuite. Ici, il est dans le vrai. Bien plus, il incline à croire que le sculpteur du
Saint Sébastien en question — il s’agit de Matteo Civitali — a pu s’inspirer du
peintre. Mais ne dépasse-t-il pas le but quand il parle de l’influence exercée par
le Pérugin sur les bas-reliefs des délia Robbia !
A côté de ces divers enseignements, il est indispensable d’étudier l’influence
de l’art classique : elle éclate à tout instant, dans les motifs d’architecture
comme dans les ornements; mais le Pérugin, qui possédait, en dépit des appa-
rences, une puissance d’assimilation peu commune, se garda bien de les laisser
détonner, à la façon de certains Florentins : il réussit à les relier au reste de la
composition, au style des draperies; bref, l’harmonie de l’ensemble n’en fut pas
troublée.
Avec le chapitre Ier du livre II, nous abordons l’étude du Pérugin d’avant la
Sixtine, c’est-à-dire d’avant 1480. Pendant cette première période, ignorant
encore la peinture d’extase, le maître, affirme-t-on, ne sacrifie qu’aux préoccupa-
tions du naturalisme. La seconde période serait la période romaine (1480-1492),
la troisième la période florentine (1493-1506), la dernière enfin, la véritable
période ombrienne (1506-1524). M. l’abbé Broussolle ne se dissimule pas les diffi-
cultés de cet essai de classification; trois dates et quelques tableaux, voilà le fond
sur lequel il lui faut tabler. Et, avec une bonne foi qui l'honore, il ajoute qu’il
est parti d’une hypothèse que les faits sont venus ensuite confirmer.
Trop souvent, ici et ailleurs, j’ai proclamé ma défiance à l’égard de la
méthode conjecturale — ces deux termes ne jurent-ils pas cl’être accouplés! Je
ne suivrai donc pas l'historien du Pérugin dans les déductions qu’il tire de ses
prémisses. Bornons-nous à constater que les Madones de la cathédrale de Pérouse,
du musée du Louvre (la plus petite des deux, et encore est-elle douteuse), et
du musée de Naples, ainsi que le Saint Sébastien de Cerqueto, ont, en effet, une
certaine verdeur qui les distingue des tableaux de la période postérieure.
M. l’abbé Broussolle a eu raison d’opposer au Saint Sébastien de Cerqueto celui
du Louvre, ce splendide morceau de nu, déjà si sûr et si large. Le style diffère
du tout au tout.
Revenons aux productions de la jeunesse de Pietro Vannucci. L'Adoration
des Mages de la Pinacothèque de Pérouse, attribuée par le catalogue à Fiorenzo
di Lorenzo et revendiquée par M. Broussolle en faveur du Pérugin, me paraît trop
douteuse pour pouvoir être prise en considération. Elle détonne dans l’œuvre du
maître, par la recherche de costumes pittoresques, non moins que par le choix
des types, minces et comme aigrelets.
Une autre pierre angulaire du système chronologique de M. l’abbé Brous-
solle, c’est le Christ en croix, entre des saints, tableau qui, de l’ancien couvent
des Jésuates, a été transporté au couvent de la Calza, où il se trouve de nos jours
encore. L’auteur — et je me plais à lui rendre ce témoignage — discute avec
infiniment d’habileté les attaques dirigées contre l’authenticité de ce tableau, et
prouve, avec une quasi-certitude, son identité avec le tableau signalé par Yasari.
Mais l’aspect même du Christ en croix ne lui ralliera, je le crains bien, que peu