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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
tout le Parement de Narbonne. Mais comme ce dernier morceau a été
transcrit ou imité par son auteur dans le livre d’Heures du duc de Berry
c’est donc que Jean de Bruges aurait été chez le prince. Or cela n’est
pas. Jean Bandol dit de Bruges travaille pour le roi dès 1368, puis-
que celui-ci lui donne une maison à Saint-Quentin 1 ; il exécute entre
1378 et 1379 les cartons de Y Apocalypse d’Angers pour le duc d’Anjou
roi de Sicile, frère du duc de Berry; il montre même dans son travail
combien il est foncièrement de l’école parisienne; mais jamais les
comptes du duc de Berry ne l’ont nommé. D’ailleurs, si l’on veut bien
opposer au Parement de Narbonne les tapisseries del’Apocalypse encore
existantes, la miniature initiale de la Bible du Musée Vestbreen à la
Haye, qui sont sûrement l’œuvre de Jean de Bruges,on conviendra que
les concordances sont justement celles des œuvres venues de même
centre imagier, mais dues à des artistes différents ; c’est la ressem-
blance d’enfants d’une même famille, lesquels conservent leur carac-
tère propre. Jean Bandol fait des grisailles, lui aussi, parce que tous ses
concurrents parisiens en font et que le goût parisien est à la grisaille,
mais il ne les importe pas. De plus, ses personnages n’ont pas les exa-
gérations métriques, les gracilités excessives, de ceux du Parement.
La citation d’un ornement d’autel dû à Girart d’Orléans nous
avait fait penser au vieux peintre pour celui du Louvre. En 1374
il eût dépassé la soixantaine de quelques années, et l’hypothèse
n’aurait point été invraisemblable. Mais un autre d’Orléans existe à
cette époque ; il est probablement fils de Girart, il a nom Jean Gran-
ger ou Grancber dit d’Orléans; il est depuis 1364 peintre et valet
de chambre de Charles Y, qui le nomme son « aimé peintre2 » et
lui fait payer 16 francs pour un tableau sur bois d’Irlande, et douze
francs pour la confection des chaises de son sacre. Jean d’Orléans
est donc, lui aussi, un peintre sellier comme Girart; il continue la
tradition de la famille, et il est en pied chez le roi. Il est vrai que
dix ans plus tard Jean Bandol se dira « pictor regis », peintre du
roi, mais ce n’est pas du tout la même chose. Jean Granger dit
d’Orléans a donc au moins vingt-cinq ans en 1365; en 1367 le roi,
content de ses services, lui octroie une maison aux halles de Paris,
à l’enseigne du Cygne
1. Bernard Prost (Gazette des Beaux-Arts, 1892, t. I, p. 349) publie lin docu-
ment d’une importance capitale sur Jean de Bruges, où Ton voit que son nom
était Bandol ou Bondolf.
2. L. Delisle, Mandements de Charles Y, n° 167.
3. Arch. Nat., JJ. 360. Consulter sur ce peintre l’ouvrage de M. Jarry, Jean
d'Orléans, 1886, in-8°.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
tout le Parement de Narbonne. Mais comme ce dernier morceau a été
transcrit ou imité par son auteur dans le livre d’Heures du duc de Berry
c’est donc que Jean de Bruges aurait été chez le prince. Or cela n’est
pas. Jean Bandol dit de Bruges travaille pour le roi dès 1368, puis-
que celui-ci lui donne une maison à Saint-Quentin 1 ; il exécute entre
1378 et 1379 les cartons de Y Apocalypse d’Angers pour le duc d’Anjou
roi de Sicile, frère du duc de Berry; il montre même dans son travail
combien il est foncièrement de l’école parisienne; mais jamais les
comptes du duc de Berry ne l’ont nommé. D’ailleurs, si l’on veut bien
opposer au Parement de Narbonne les tapisseries del’Apocalypse encore
existantes, la miniature initiale de la Bible du Musée Vestbreen à la
Haye, qui sont sûrement l’œuvre de Jean de Bruges,on conviendra que
les concordances sont justement celles des œuvres venues de même
centre imagier, mais dues à des artistes différents ; c’est la ressem-
blance d’enfants d’une même famille, lesquels conservent leur carac-
tère propre. Jean Bandol fait des grisailles, lui aussi, parce que tous ses
concurrents parisiens en font et que le goût parisien est à la grisaille,
mais il ne les importe pas. De plus, ses personnages n’ont pas les exa-
gérations métriques, les gracilités excessives, de ceux du Parement.
La citation d’un ornement d’autel dû à Girart d’Orléans nous
avait fait penser au vieux peintre pour celui du Louvre. En 1374
il eût dépassé la soixantaine de quelques années, et l’hypothèse
n’aurait point été invraisemblable. Mais un autre d’Orléans existe à
cette époque ; il est probablement fils de Girart, il a nom Jean Gran-
ger ou Grancber dit d’Orléans; il est depuis 1364 peintre et valet
de chambre de Charles Y, qui le nomme son « aimé peintre2 » et
lui fait payer 16 francs pour un tableau sur bois d’Irlande, et douze
francs pour la confection des chaises de son sacre. Jean d’Orléans
est donc, lui aussi, un peintre sellier comme Girart; il continue la
tradition de la famille, et il est en pied chez le roi. Il est vrai que
dix ans plus tard Jean Bandol se dira « pictor regis », peintre du
roi, mais ce n’est pas du tout la même chose. Jean Granger dit
d’Orléans a donc au moins vingt-cinq ans en 1365; en 1367 le roi,
content de ses services, lui octroie une maison aux halles de Paris,
à l’enseigne du Cygne
1. Bernard Prost (Gazette des Beaux-Arts, 1892, t. I, p. 349) publie lin docu-
ment d’une importance capitale sur Jean de Bruges, où Ton voit que son nom
était Bandol ou Bondolf.
2. L. Delisle, Mandements de Charles Y, n° 167.
3. Arch. Nat., JJ. 360. Consulter sur ce peintre l’ouvrage de M. Jarry, Jean
d'Orléans, 1886, in-8°.