GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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son xve siècle. Bien qu’il n’y eût en elle l’apparition d’aucun élé-
ment proprement inconnu, l’exposition de la cité flamande fut une
révélation; et, par le rapprochement, par la cohésion d’œuvres dis-
séminées en divers lieux — et disséminées aussi dans nos esprits,
— elle devint un extraordinaire enseignement. Ce printemps-ci,
la France va évoquer le sien. L'on s’était étonné à Bruges,
avec une sévérité excessive, mais non sans justice, de notre indiffé-
rence française pour notre art primitif français : par un brusque
effort, nous allons pouvoir montrer dans peu de jours quels artistes
admirables furent, de Douai jusqu’en Avignon, nos « quatorze-cen-
tistes » à nous, et il surgira là une floraison inattendue, qui sera
pour quelques-uns comme la découverte d’un monde.
Les Allemands aussi eurent au xve siècle une très belle floraison
d’art; et leur peinture, — je parle de la peinture des tableaux, car
la miniature reste œuvre exclusivement française, — bien qu’elle
reçût des influences, venues de Sienne par la Bohême, et des
Flandres directement, garda un caractère national, dont les éléments
se distinguent et se déterminent, qu’elle soit franconienne ou rhé-
nane, westphalienne ou hanséatique. Mais les Allemands, si avertis
qu’ils paraissent être de l’histoire de l’art et si soigneux qu’ils
demeurent d’en noter tous les détails, ignoraient, il y a quelques
années, encore, un de leurs plus grands peintres. Pour la première
fois depuis près de quatre cents ans, le nom de maître Franche
vient d’être récemment prononcé, et, peu auparavant, sa peinture
n’était guère plus connue que son nom.
Cependant ses tableaux se voyaient au musée grand-ducal de
Schwerin depuis 1862. Mais Schwerin est une jolie petite ville dans
les bois, au bord de lacs, où l’on ne va guère, même d’Allemagne.
Quand on y passe, le musée est fermé, et, pour ne pas déranger le
concierge, on préfère se promener autour des lacs. Maintenant on
peut y aller; les tableaux n’y sont plus.
Voici ce qui est arrivé. M. Lichtwark avait aperçu en 1890, sur le
mur sud de l’église Saint-Pierre de Hambourg, reconstruite après
son incendie de 1806, le tableau, qui est aujourd’hui au musée de la
ville, du Christ homme de douleurs. De qui était-il? d’où venait-
il? Personne n’en savait, rien; jamais personne ne l’avait remarqué.
Le conservateur du musée de Schwerin, M. Friedrich Schlie, pas-
sant par là, le vit alors et déclara aussitôt que le même sujet traité
par le même peintre se trouvait au musée de Leipzig, et que son
musée à lui possédait neuf tableaux de la même main, provenant de
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son xve siècle. Bien qu’il n’y eût en elle l’apparition d’aucun élé-
ment proprement inconnu, l’exposition de la cité flamande fut une
révélation; et, par le rapprochement, par la cohésion d’œuvres dis-
séminées en divers lieux — et disséminées aussi dans nos esprits,
— elle devint un extraordinaire enseignement. Ce printemps-ci,
la France va évoquer le sien. L'on s’était étonné à Bruges,
avec une sévérité excessive, mais non sans justice, de notre indiffé-
rence française pour notre art primitif français : par un brusque
effort, nous allons pouvoir montrer dans peu de jours quels artistes
admirables furent, de Douai jusqu’en Avignon, nos « quatorze-cen-
tistes » à nous, et il surgira là une floraison inattendue, qui sera
pour quelques-uns comme la découverte d’un monde.
Les Allemands aussi eurent au xve siècle une très belle floraison
d’art; et leur peinture, — je parle de la peinture des tableaux, car
la miniature reste œuvre exclusivement française, — bien qu’elle
reçût des influences, venues de Sienne par la Bohême, et des
Flandres directement, garda un caractère national, dont les éléments
se distinguent et se déterminent, qu’elle soit franconienne ou rhé-
nane, westphalienne ou hanséatique. Mais les Allemands, si avertis
qu’ils paraissent être de l’histoire de l’art et si soigneux qu’ils
demeurent d’en noter tous les détails, ignoraient, il y a quelques
années, encore, un de leurs plus grands peintres. Pour la première
fois depuis près de quatre cents ans, le nom de maître Franche
vient d’être récemment prononcé, et, peu auparavant, sa peinture
n’était guère plus connue que son nom.
Cependant ses tableaux se voyaient au musée grand-ducal de
Schwerin depuis 1862. Mais Schwerin est une jolie petite ville dans
les bois, au bord de lacs, où l’on ne va guère, même d’Allemagne.
Quand on y passe, le musée est fermé, et, pour ne pas déranger le
concierge, on préfère se promener autour des lacs. Maintenant on
peut y aller; les tableaux n’y sont plus.
Voici ce qui est arrivé. M. Lichtwark avait aperçu en 1890, sur le
mur sud de l’église Saint-Pierre de Hambourg, reconstruite après
son incendie de 1806, le tableau, qui est aujourd’hui au musée de la
ville, du Christ homme de douleurs. De qui était-il? d’où venait-
il? Personne n’en savait, rien; jamais personne ne l’avait remarqué.
Le conservateur du musée de Schwerin, M. Friedrich Schlie, pas-
sant par là, le vit alors et déclara aussitôt que le même sujet traité
par le même peintre se trouvait au musée de Leipzig, et que son
musée à lui possédait neuf tableaux de la même main, provenant de