DOI Heft:
Nr. 3
DOI Artikel:Saunier, Charles: La "Mort de Sénéque" par Louis David
DOI Seite / Zitierlink:https://doi.org/10.11588/diglit.24815#0260
23-4
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
rents par l’Académie en 1773. Cette esquisse, exécutée pour le con-
cours préparatoire, est d’autant plus précieuse que le tableau lui-
même, qui appartenait en 1817 au mystificateur Musson, grand ami
de David, est aujourd’hui égaré. Jules David ne le cite que par ouï-
dire et il n’a figuré dans nulle exposition, ni passé dans aucune vente
depuis cette époque.
Or, ce concours de David pour. 1773, quoique non récompensé par
l’Académie, avait été fort remarqué. Les propos échangés entre Co-
cliin et David, quand celui-ci partit pour Rome, en sont un témoi-
gnage certain : « N’allez pas faire à Rome comme tant d’autres, con-
seillait Gochin ; tâchez de ne pas vous y couler, rappelez-vous sans
cesse votre charmante exposition de Sénèque. » A quoi David répon-
dit : « L’antique ne me séduira pas, il manque d’entrain et ne
remue pas. »
Et David était sincère. Quoique élève du réformateur Vien, il
entendait rester disciple de Boucher. La Mort de Sénèque en est une
preuve.
Il s’agit pour l’artiste d’évoquer un épisode tragique, presque
une scène de boucherie. Sénèque, entouré de ses amis et de ses
esclaves, surveillé par le centurion implacable qui lui apporte
l’ordre de Néron, se fait ouvrir les veines; comme la mort vient trop
lentement, son médecin accroupi pratique de nouvelles incisions aux
jarrets et aux jambes; Pauline, sa femme, qui va subir le même
supplice, s’évanouit. Ce ne devrait être, semble-t-il, que lamen-
tations. Eli bien! pas du tout. Les attitudes sont théâtrales, manié-
rées, et les tonalités bleues, blanches, roses tellement agréables,
qu’à moins d’être bien pénétré du sujet on a peine à trouver dans
cette œuvre la représentation tragique qu’elle comporte. Mais, cette
critique faite, que de sûreté dans la main de l’artiste, qui, en quel-
ques heures, a peint la toile! quelle science de l'effet, du mouve-
ment! quelle connaissance des attitudes conventionnelles chères à
Lemoyne, à Restout, à de Troy et à toute l’école du xvm° siècle !
Une pareille composition, avec ses colorations franches et légères qu i
la font ressembler à un décor ou à un carton de tapisserie, crie son
temps. Cette production aimable explique pourquoi son auteur avait
pu être employé à compléter et à terminer chez Mlle Guimard une
décoration ébauchée par Fragonard. C’est le même procédé, une faci-
lité identique.
L’élève qui avait exécuté cette Mort de Sénèque où tous les tours
de métier des maîtres à la mode étaient résumés, n’avait plus rien à
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
rents par l’Académie en 1773. Cette esquisse, exécutée pour le con-
cours préparatoire, est d’autant plus précieuse que le tableau lui-
même, qui appartenait en 1817 au mystificateur Musson, grand ami
de David, est aujourd’hui égaré. Jules David ne le cite que par ouï-
dire et il n’a figuré dans nulle exposition, ni passé dans aucune vente
depuis cette époque.
Or, ce concours de David pour. 1773, quoique non récompensé par
l’Académie, avait été fort remarqué. Les propos échangés entre Co-
cliin et David, quand celui-ci partit pour Rome, en sont un témoi-
gnage certain : « N’allez pas faire à Rome comme tant d’autres, con-
seillait Gochin ; tâchez de ne pas vous y couler, rappelez-vous sans
cesse votre charmante exposition de Sénèque. » A quoi David répon-
dit : « L’antique ne me séduira pas, il manque d’entrain et ne
remue pas. »
Et David était sincère. Quoique élève du réformateur Vien, il
entendait rester disciple de Boucher. La Mort de Sénèque en est une
preuve.
Il s’agit pour l’artiste d’évoquer un épisode tragique, presque
une scène de boucherie. Sénèque, entouré de ses amis et de ses
esclaves, surveillé par le centurion implacable qui lui apporte
l’ordre de Néron, se fait ouvrir les veines; comme la mort vient trop
lentement, son médecin accroupi pratique de nouvelles incisions aux
jarrets et aux jambes; Pauline, sa femme, qui va subir le même
supplice, s’évanouit. Ce ne devrait être, semble-t-il, que lamen-
tations. Eli bien! pas du tout. Les attitudes sont théâtrales, manié-
rées, et les tonalités bleues, blanches, roses tellement agréables,
qu’à moins d’être bien pénétré du sujet on a peine à trouver dans
cette œuvre la représentation tragique qu’elle comporte. Mais, cette
critique faite, que de sûreté dans la main de l’artiste, qui, en quel-
ques heures, a peint la toile! quelle science de l'effet, du mouve-
ment! quelle connaissance des attitudes conventionnelles chères à
Lemoyne, à Restout, à de Troy et à toute l’école du xvm° siècle !
Une pareille composition, avec ses colorations franches et légères qu i
la font ressembler à un décor ou à un carton de tapisserie, crie son
temps. Cette production aimable explique pourquoi son auteur avait
pu être employé à compléter et à terminer chez Mlle Guimard une
décoration ébauchée par Fragonard. C’est le même procédé, une faci-
lité identique.
L’élève qui avait exécuté cette Mort de Sénèque où tous les tours
de métier des maîtres à la mode étaient résumés, n’avait plus rien à