loi
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
que donne le patient travail réfléchi, tel qu'il s’était laissé deviner
cinq ans plus tôt.
Ses envois au Salon de l’année suivante (1884) achevèrent de
montrer aux plus indifférents et aux plus sceptiques quel puissant,
quel original artiste moderne venait de grandir, pour notre joie, à
l’écart des formules, dans le labeur solitaire et le recueillement pro-
pice aux œuvres fortes : avec un vivant, souple et lumineux por-
trait du peintre Legros, que Besnard avait beaucoup fréquenté en
Angleterre, en compagnie duquel il s’était adonné au passionnant
plaisir de l’eau-forte, avec une effigie très expressive du malicieux
et mélancolique Francis Magnard, Besnard avait exposé les autres
panneaux décoratifs pour l'École de Pharmacie : La Maladie, où, par-
dessus les figures d’angoisse et de martyre, les gestes résolus du mé-
decin qui soigne, les attitudes résignées des assistants, plane déjà
cette tragique poésie de la douleur que, plus dramatiquement encore,
quinze ans après, Besnard saura traduire dans la chapelle de Berck.
Pareil modernisme, même sentiment de la poésie qui se dégage
de l’effort humain au milieu de la nature comme parmi le brouhaha
des cités ou les travaux de laboratoire, dans les autres panneaux,
La Cueillette des simples, par exemple, où Besnard, le long d’un
terrain en pente, comme pour indiquer la lente et pénible ascension
de la pensée vers les sérénités de la lumière et de la science, repré-
sente des paysannes dans leur activité souple et gracieuse, et où il
se risque à des hardiesses plastiques comme celle d’indiquer une
cueilleuse dressée vers les Heurs d’un arbre, par l’ombre portée de
son corps et de la branche qu’elle enlace. D’une pensée plus moder-
niste encore et meilleure annonciatrice do l’avenir nous semble le
troisième panneau, Le Laboratoire, puisque, pour la première fois,
un peintre de ce temps concevait et osait une toile décorative
d’après la science et son austère décor, sentait la poésie de cos créa-
tions humaines.
Si, au Salon de 1885, le large et radieux Portrait de Mme Georges
Duruy, l’harmonieux et limpide panneau Fluctuât nec mergitur
accrurent la confiance que les gens de goût mettaient en Besnard,
c’est au Salon de 1886 que, avec le fameux Portrait de Mme Roger
Jourdain1, tout de suite célèbre, exalté ou raillé sous le nom de « La
Femme jaune et bleue », qu’il livra, qu’il gagna, parmi les sympa-
thiques acclamations de tous les artistes novateurs, la bataille la
1. Gravé dans la Gazette des Beaux-Arts, 1900, t. Il, p. 480.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
que donne le patient travail réfléchi, tel qu'il s’était laissé deviner
cinq ans plus tôt.
Ses envois au Salon de l’année suivante (1884) achevèrent de
montrer aux plus indifférents et aux plus sceptiques quel puissant,
quel original artiste moderne venait de grandir, pour notre joie, à
l’écart des formules, dans le labeur solitaire et le recueillement pro-
pice aux œuvres fortes : avec un vivant, souple et lumineux por-
trait du peintre Legros, que Besnard avait beaucoup fréquenté en
Angleterre, en compagnie duquel il s’était adonné au passionnant
plaisir de l’eau-forte, avec une effigie très expressive du malicieux
et mélancolique Francis Magnard, Besnard avait exposé les autres
panneaux décoratifs pour l'École de Pharmacie : La Maladie, où, par-
dessus les figures d’angoisse et de martyre, les gestes résolus du mé-
decin qui soigne, les attitudes résignées des assistants, plane déjà
cette tragique poésie de la douleur que, plus dramatiquement encore,
quinze ans après, Besnard saura traduire dans la chapelle de Berck.
Pareil modernisme, même sentiment de la poésie qui se dégage
de l’effort humain au milieu de la nature comme parmi le brouhaha
des cités ou les travaux de laboratoire, dans les autres panneaux,
La Cueillette des simples, par exemple, où Besnard, le long d’un
terrain en pente, comme pour indiquer la lente et pénible ascension
de la pensée vers les sérénités de la lumière et de la science, repré-
sente des paysannes dans leur activité souple et gracieuse, et où il
se risque à des hardiesses plastiques comme celle d’indiquer une
cueilleuse dressée vers les Heurs d’un arbre, par l’ombre portée de
son corps et de la branche qu’elle enlace. D’une pensée plus moder-
niste encore et meilleure annonciatrice do l’avenir nous semble le
troisième panneau, Le Laboratoire, puisque, pour la première fois,
un peintre de ce temps concevait et osait une toile décorative
d’après la science et son austère décor, sentait la poésie de cos créa-
tions humaines.
Si, au Salon de 1885, le large et radieux Portrait de Mme Georges
Duruy, l’harmonieux et limpide panneau Fluctuât nec mergitur
accrurent la confiance que les gens de goût mettaient en Besnard,
c’est au Salon de 1886 que, avec le fameux Portrait de Mme Roger
Jourdain1, tout de suite célèbre, exalté ou raillé sous le nom de « La
Femme jaune et bleue », qu’il livra, qu’il gagna, parmi les sympa-
thiques acclamations de tous les artistes novateurs, la bataille la
1. Gravé dans la Gazette des Beaux-Arts, 1900, t. Il, p. 480.