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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 15.1919

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Nr. 2
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Koechlin, Charles: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24917#0245

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22k GAZETTE DES BEAUX-ARTS

tiers vers le trop longtemps délaissé Jean-Philippe Rameau. Nous n’avons pas
de gloire plus vraiment française, et c’est ce que pensent bien, depuis des
années, d’illustres maîtres d’aujourd’hui : M. Vincent d’indy, M. Gabriel Fauré,
M. Paul Dukas. C’est également de quoi notre grand Debussy se montrait
ardemment convaincu. 11 ne s’agit point du tout de s’attaquer à la gloire indes-
tructible de J.-S. Bach, de Beethoven, de Wagner. Mais il existe plusieurs
provinces dans le royaume des sons, et la nôtre n’est pas la moins belle. J’en
eus la claire conscience l’automne dernier, lors d’un concert improvisé sur le
navire qui portait en Amérique la mission de conférenciers dont je faisais
partie. Parmi des œuvres très diverses, on avait inscrit des mélodies de
M. Fauré et des pièces de clavecin de Rameau. Et tandis que je les jouais, je les
comparais en moi-mème au reste du programme. Elles m’apparaissaient lumi-
neuses, achevées, parfaites, — vivantes et classiques. Pourtant elles étaient
brèves, d’allure modeste, sans emphase, sans prétention, sans impérieux
appels aux applaudissements de la foule; mais, nobles et fières, elles resplen-
dissaient d’une beauté intérieure, et le plus pur du génie national s’y révélait.
On n’y aurait pu changer une note, non plus qu’on ne s’avisera jamais de changer
un mot dans un vers de Racine ou dans une phrase de M. Anatole France.

Mais, pour les bien goûter, il faudrait, le plus souvent, une culture musicale
— je dirais même artistique et spirituelle — toute particulière. Notre public la
possède-t-il? Je n’en suis pas sur. Au moins peut-il dès à présent, avec un peu
de bonne volonté, et grâce à cet esprit de bienveillance si nécessaire à la com-
préhension des chefs-d’œuvre, deviner leur langage, s’émouvoir à ces ondes de
sérénité qui émanent des choses définitives. Et c’est pourquoi nous pensons que
la reprise de Castor et Pollux est un événement très heureux dans l’histoire
musicale de notre temps. Sans doute, notre conception moderne n’est pas tout
à fait celle du xvm° siècle; sans doute, la douleur de Télaïre nous semble-t-elle
un peu trop régulière, trop solennelle, trop « stylisée », dirait-on aujourd’hui :
en un mot, pas vraie (on pourrait objecter d’ailleurs qu’à l'Opéra la vérité est
toujours relative, et qu’après tout la « stylisation » de ces plaintes est aussi
légitime que celle des feuilles d’acanthe dans le chapiteau corinthien, ou que
I’ « interprétation » très libre de certains peintres modernes). Mais l’air de
Pollux (« Nature, amour, qui partagez mon cœur... ») est beau comme une page
de J.-S. Bach, ou comme un paysage de Poussin. La scène des Champs Élysées
nous fait pressentir celle de l’Orphée de Gluck; et jamais Gluck n’atteignit à
cette délicate pureté d’écriture et de sentiment. Il en est ici comme des portraits
féminins de Nattier, dont le sourire serait jugé, dès l’abord, un peu facile et
superficiel : impression première et qui ne laisse pas d’etre tout à fait injuste;
un plus sérieux examen ne tarde pas de nous faire apparaitre avec évidence la
sensibilité profonde qui se cache sous ces dehors aimables, aménité charmante
qui faisait plus douce l’esthétique, comme la vie, des « honnêtes gens » de
l’ancien régime.

C’est assez dire tout le succès que je souhaite, et si vivement, à la reprise
dont nous félicitons la direction de l’Opéra. L’art de M. Fauré, celui de Debussy,
celui de Rameau, sont parmi.les meilleurs contre-poisons de l’influence alle-
mande que j’ai plus d’une fois signalée, et dont notre public (tant s’en faut!)
n’a pas encore éliminé toutes les toxines. Mais l’Allemagne d’autrefois nous
 
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