Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (4. Pér. 15.1919)

LES SALONS DE 1919

427

particulière et momentanée, tout comme les peintres, les statuaires,
les graveurs ou les musiciens, leurs contemporains. Sans être voués
à l’anonymat des humbles artisans, les grands ornemanistes des
xviie et xvme siècles travaillaient modestement, mais sûrement,
comme nos « imagiers » du Moyen âge, à l’œuvre collective de leur
belle époque; dorénavant, la foi dogmatique de jadis a disparu sous
l’empire d’un point de vue tout historique, qui n’admet d’autre
conclusion que la formule d’Herbert Spencer : « Dans l’art, comme
dans tout le reste, l’unique certitude est que l’avenir sera différent».

Et les snobs, qui se hâtent de prôner toute nouveauté, de peur
d’être accusés de l’avoir méconnue, s’étonneront bientôt peut-être
de la prompte vieillesse de leur décor nouveau : car rien ne vieillit
plus vite que l’innovation d’antan ; mais l’art décoratif le plus éphé-
mère ne donne-t-il pas une leçon do patience et do conscience à
tous les fa presto de la peinture ou de la statuaire? Il faut plus de
savoir et de temps pour associer l’étoffe, le métal et le bois que
pour couvrir une toile ou pétrir la glaise; et les gens trop pressés
d’apparaitre « originaux » devraient méditer ces utiles paroles :
<( L’art n’est que sentiment. Mais sans la science des volumes, des
proportions, des couleurs, sans l’adresse de la main, le sentiment le
plus vif est paralysé. Que deviendrait le plus grand poète dans un
pays étranger dont il ignorerait la langue? Dans la nouvelle géné-
ration d’artistes, il y a nombre de poètes qui, malheureusement,
refusent d’apprendre à parler. Aussi ne font-ils que balbutier... »
Celui qui pensait ainsi n’était pas suspect de draper la routine dans
le manteau de la tradition, puisque c’était l’auteur du Balzac !

RAYMOND HOUYER

ASSIETTE EN PORCELAINE DECOREE
PAR M. J- DRÈRA