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LA VIE DE BOHEME
EtSchaunard attendit l'effet de son trio de pluriels.
— Je partage votre idée, dit M. Blancheron, et en revanche
j'aime à croire que vous me ferez l'honneur de me tenir com-
pagnie à table.
Schaunard s'inclina.
— Allons, se dit-il à lui-môme, c'est un brave homme, un
véritable employé de la Providence. Voulez-vous faire la carte?
demanda-t-il à son amphitryon.
— Vous m'obligerez de vous charger de ce soin répondit
poliment celui-ci.
— Tu t'en repentiras, Nicolas, chanta le peintre en descen-
dant les escaliers quatre à quatre.
Il entra chez le restaurateur, se mit au comptoir et rédigea
un menu dont la lecture fît pâlir le Vatel en boutique.
■— Du bordeaux à l'ordinaire.
— Qu'est-ce qui payera?
— Pas moi probablement, dit Schaunard, mais un mien
oncle que vous verrez là-haut, un fin gourmet. Ainsi, tâchez de
vous distinguer, et que nous soyons servis dans une demi-
heure, et dans de la porcelaine surtout.
A huit heures, M. Blancheron sentait déjà le besoin d'épan-
cher dans le sein d'un ami ses idées sur l'industrie sucrière,
et il récita à Schaunard la brochure qu'il avait écrite.
Celui-ci l'accompagna sur le piano.
A dix heures, M. Blancheron et son ami dansaient le galop
et se tutoyaient. A onze heures, ils jurèrent de ne jamais se
quitter et firent chacun un testament où ils se léguaient réci-
proquement leur fortuue.
A minuit, Marcel rentra et les trouva dans les bras l'un de
l'autre; ils fondaient en pleurs. Et il y avait déjà un demi-pouce
d'eau dans l'atelier. Marcel se heurta à la tabie et vit les splen-
dides débris du superbe festin. Il regarda les bouteilles, elles
étaient parfaitement vides.
Il voulut réveiller Schaunard, mais celui-ci le menaça de le
tuer s'il voulait lui ravir M. Blancheron, dont il se faisait un
oreiller.
Ingrat I dit Marcel en tirant de la poche de son habit une
poignée de noisettes. Moi qui lui apportais à dîner.
III
LES AMOURS DE CARÊME.
Un soir de carême, Rodolphe entra chez lui de bonne heure
avec l'intention de travailler. Mais à peine se fut-il mis à table
et eut-il trempé sa plume dans l'encrier, qu'il fut distrait pa
un bruit singulier; et, appliquant l'oreille à l'indiscrète cloison
qui le séparait de la chambre voisine, il écouta et distingua
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LA VIE DE BOHEME
EtSchaunard attendit l'effet de son trio de pluriels.
— Je partage votre idée, dit M. Blancheron, et en revanche
j'aime à croire que vous me ferez l'honneur de me tenir com-
pagnie à table.
Schaunard s'inclina.
— Allons, se dit-il à lui-môme, c'est un brave homme, un
véritable employé de la Providence. Voulez-vous faire la carte?
demanda-t-il à son amphitryon.
— Vous m'obligerez de vous charger de ce soin répondit
poliment celui-ci.
— Tu t'en repentiras, Nicolas, chanta le peintre en descen-
dant les escaliers quatre à quatre.
Il entra chez le restaurateur, se mit au comptoir et rédigea
un menu dont la lecture fît pâlir le Vatel en boutique.
■— Du bordeaux à l'ordinaire.
— Qu'est-ce qui payera?
— Pas moi probablement, dit Schaunard, mais un mien
oncle que vous verrez là-haut, un fin gourmet. Ainsi, tâchez de
vous distinguer, et que nous soyons servis dans une demi-
heure, et dans de la porcelaine surtout.
A huit heures, M. Blancheron sentait déjà le besoin d'épan-
cher dans le sein d'un ami ses idées sur l'industrie sucrière,
et il récita à Schaunard la brochure qu'il avait écrite.
Celui-ci l'accompagna sur le piano.
A dix heures, M. Blancheron et son ami dansaient le galop
et se tutoyaient. A onze heures, ils jurèrent de ne jamais se
quitter et firent chacun un testament où ils se léguaient réci-
proquement leur fortuue.
A minuit, Marcel rentra et les trouva dans les bras l'un de
l'autre; ils fondaient en pleurs. Et il y avait déjà un demi-pouce
d'eau dans l'atelier. Marcel se heurta à la tabie et vit les splen-
dides débris du superbe festin. Il regarda les bouteilles, elles
étaient parfaitement vides.
Il voulut réveiller Schaunard, mais celui-ci le menaça de le
tuer s'il voulait lui ravir M. Blancheron, dont il se faisait un
oreiller.
Ingrat I dit Marcel en tirant de la poche de son habit une
poignée de noisettes. Moi qui lui apportais à dîner.
III
LES AMOURS DE CARÊME.
Un soir de carême, Rodolphe entra chez lui de bonne heure
avec l'intention de travailler. Mais à peine se fut-il mis à table
et eut-il trempé sa plume dans l'encrier, qu'il fut distrait pa
un bruit singulier; et, appliquant l'oreille à l'indiscrète cloison
qui le séparait de la chambre voisine, il écouta et distingua
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