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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0059
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LA VIE DE BOHEME

51

tien. Est-ce que cela ne prouve pas qu'elle m'aimait mieux
que toi ?

— Ça prouve que tu es un niais, lui répondit Marcel : les
blanches épaules et les bras blancs n'ont pas besoin de savoir
la grammaire.

IV

ALI-RODOLPHE, OC LE TURC PAR NÉCESSITÉ.

Frappé d'ostracisme par un propriétaire inhospitalier, Ro-
dolphe vivait depuis quelque temps plus errant que les nuages,
et perfectionnait de son mieux l'art de se coucher sans souper,
ou de souper sans se coucher ; son cuisinier l'appelait le Ha-
sard, et il logeait fréquemment à l'auberge de la Belle-Etoile.

Il y avait pourtant deux choses qui n'abandonnaient point
Rodolphe au milieu de ces pénibles traverses, c'était sa bonne
humeur, et le manuscrit du Vengeur, drame qui avait fait des
stations dans tous les lieux dramatiques de Paris.

Un jour, Rodolphe, conduit au violon pour cause de choré-
graphie trop macabre, se trouva nez à nez avec un oncle à lui,
le sieur Monetti, poêlier-fumiste, sergent de la garde nationale,
et que Rodolphe n'avait pas vu depuis une éternité.

Touché des malheurs de son neveu, l'oncle Monetti promit
d'améliorer sa position, et nous allons voir comme, si le lecteur
ne s'effraye pas d'une ascension de six étages.

Donc prenons la rampe et montons. Ouf! cent vingt-cinq
marches. Nous voici arrivés. Un pas de plus nous sommes dans
la chambre, un autre nous n'y serions plus, c'est petit, mais
c'est haut; au reste, bon air et belle vue.

Le mobilier se compose de plusieurs cheminées à la prus-
sienne, de deux poêles, de fourneaux économiques, quand on
n'y fait pas de feu surtout, d'une douzaine de tuyaux en terre
rouge ou en tôle, et d'une foule d'appareils de chauffage; ci-
tons encore, pour clore l'inventaire, un hamac suspendu à deux
clous fichés dans la muraille, une chaise de jardin amputée
d'une jambe, un chandelier orné de sa bobèche, et divers au-
tres objets d'art et de fantaisie.

Quant à la seconde pièce, le balcon, deux cyprès nains, mis
en pots, la transforment en parc pour la belle saison.

Au moment où nous entrons, l'hôte du lieu, jeune homme
habillé en Turc d'opéra-comique, achève un repas dans lequel
il viole effrontément la loi du prophète, ainsi que l'indique la
présence d'un ex-jambonneau et d'une bouteille ci-devant
pleine de vin. Son repas terminé, le jeune Turc s'étendit à l'o-
rientale sur le carreau, et se mit à fumer nonchalamment un
narguillé marqué J. G. Tout en s'abandonnant à la béatitude
asiatique, il passait de temps en temps sa main sur le dos d'un
magnifique chien de Terre-Neuve, qui aurait sans doute ré-
pondu à ses caresses s'il n'eût aussi été en terre cuite.
 
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