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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0118
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LA VIE DE BOHEME

— Ah ! dit Rodolphe en lui même, le 15 avril est passé, j'ai
enfin doublé mon cap des Tempêtes. Chère Mimi, fit le jeune
homme en attirant la belle fille dans ses bras et l'embrassant
sur le cou à l'endroit de la nuque, il ne vous aurait pas été pos-
sible de me laisser mettre à la porte. Nous avez la bosse de
l'hospitalité.

XI

ON CAFÉ DE LA BOHÊME.

Voici par quelle suite de circonstances Carolus Barbemuche,
homme de lettres et philosophe platonicien, devint membre de
la Bohême en la vingt-quatrième année de son âge.

En ce temps-là, Gustave Colline, le grand philosophe, Marcel,
le grand peintre, Schaunard, le grand musicien, et Rodolphe, le
grand poète, comme ils s'appelaient entre eux, fréquentaient
régulièrement le café Momus, où on les avait surnommés les
quatre mousquetaires, à cause qu'on les voyait toujours ensem-
ble. En effet, ils venaient, s'en allaient ensemble, jouaient en-
semble, et quelquefois aussi ne payaient pas leur consomma-
tion, toujours avec un ensemble digne de l'orchestre du Conser-
vatoire.

Ils avaient choisi pour se réunir une salle où quarante per-
sonnes eussent été à l'aise ; mais on les trouvait toujours seuls
car ils avaient fini par rendre le lieu inabordable aux habitués
ordinaires.

Le consommateur de passage qui s'aventurait clans cet antre
y devenait, dès son entrée, la victime du farouche quatuor, et, la
plupart du temps, se sauvait sans achever sa gazette et sa demi-
tasse, dont des aphorismes inouïs sur l'art, le sentiment et l'é-
conomie politique faisaient tourner la crème. Les conversations
des quatre compagnons étaient de telle nature que le garçon
qui les servait était devenu idiot à la fleur de l'âge.

Cependant les choses arrivèrent à un tel point d'arbitraire,
que le maître du café perdit enfin patience, et il monta un soir
faire gravement l'exposé de ses griefs :

1° M. Rodolphe venait dès le matin déjeuner, et emportait
dans sa salle tous journaux de l'établissement ; il poussait mémo
l'exigence jusqu'à se fâcher quand il trouvait les bandes rom-
pues, ce qui faisait que les autres habitués, privés des organes
de l'opinion, demeuraient jusqu'au dîner ignorants comme des
carpes en matière politique. La société Bosquet savait à peine
les noms des membres du dernier cabinet.

M. Rodolphe avait même obligé le café de s'abonner au Castor,
dont il était rédacteur en chef. Le maître de l'établissement s'y
était d'abord refusé ; mais comme M. Rodolphe et sa compa-
gnie appelaient tous les quarts d'heure le garçon, et criaient à
haute voix : Le Castor ! apportez-nous le Castor ! Quelques au-

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