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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0155
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LA VIE DE BOHEME

If

comme un musicien qui, avant de commencer son morceau,
frappe un placage d'accords pour s'assurer de la capacité de
son instrument, Rodolphe assit la jeune Mimi sur ses genoux èt
lui appuya sur l'épaule un long et sonore baiser qui imprima
une vibration soudaine au corps de la printanière créature.
L'instrument était d'accord.

XIV

MADEMOISELLE MIMI.

0 mon ami Rodolphe, qu'est-il donc advenu pour que vous
soyez changé ainsi ? Dois-je croire les bruits que l'on rapporte,
et ce malheur a-t-il pu abattre à ce point votre robuste philo-
sophie ? Comment pourrai-je, moi, l'historien ordinaire de votre
épopée bohème, si pleine d'éclats de rire, comment pourrai-je
raconter sur un ton assez mélancolique la pénible aventure qui
met un crêpe à votre constante gaieté, et arrête ainsi tout à
coup la sonnerie de vos paradoxes ?

0 Rodolphe mon ami ! je veux bien que le mal soit grand,
mais là, en vérité, ce n'est point de quoi s'aller jeter à l'eau.
Donc je vous convie au plus vite à faire une croix sur le passé.
Fuyez surtout la solitude peuplée de fantômes qui éterniseraient
vos regrets. Fuyez le silence, où les échos des souvenirs seraient
encore pleins de vos joies et de vos douleurs passées. Jetez
courageusement à tous les vents de l'oubli le nom que vous
avez tant aimé, et jetez avec lui tout ce qui vous reste encore
de celle-là qui le portait. Roucles de cheveux mordues par les
lèvres folles du désir ; flacon de Venise, où dort encore un
reste de parfum, qui, en ce moment serait plus dangereux à
respirer pour vous que tous les poisons du monde ; au feu les
fleurs, les fleurs de gaze, de soie et de velours ; les jasmins
blancs, les anémones empourprées par le sang d'Adonis, les
myosotis bleus, et tous ces charmants bouquets qu'elle compo-
sait aux jours lointains de votre court bonheur. Alors, je l'ai-
mais aussi, moi, votre Mimi, et je ne voyais pas de danger à ce
que vous l'aimassiez. Mais suivez mes conseils : au feu les ru-
bans, les jolis rubans roses, bleus et jaunes dont elle se faisait
des colliers pour agacer le regard ; au feu les dentelles et les
bonnets, etles voiles et tous ces chiffons coquets dont elle se
parait pour aller faire de l'amour mathématique avec M. César,
M. Jérôme, M. Charles, ou tel autre galant du calendrier, alors
que vous l'attendiez à votre fenêtre, frissonnantsous les brises et
les givres de l'hiver ; au feu, Rodolphe, et sans pitié, tout ce qui
lui a appartenu et pourrait encore vous parler d'elle ; au l'eu
les lettres à'amour. Tenez, en voici précisément une, et vous
avez pleuré dessus comme une fontaine, ô mon an?i infortuné !

« Comme tu ne rentres pas, je sors pour aller chez ma tante;

mi
 
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