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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0147
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LA VIE DE BOHÊME

139

XIII

LA CRÉMAILLÈRE.

Ceci se passait quelque temps après la mise en ménage du
poëte Rodolphe avec la jeune mademoiselle Mimi ; et depuis
environ huit jours tout le cénacle bohémien était fort en peine
à cause de la disparition de Rodolphe, qui était subitement
devenu impondérable. On l'avait cherché dans tous les endroits
où il avait habitude d'aller, et partout on avait reçu la môme
réponse :

— Nous ne l'avons pas vu depuis huit jours.

Gustave Colline, surtout, était dans une grande inquiétude,
et voici à quel propos. Quelques jours auparavant, il avaitconflé
à Rodolphe un article de haute philosophie que celui-ci de-
vait insérer dans les colonnes Variétés du journal le Castor,
revue de la chapellerie élégante dont il était rédacteur en chef.
L'article philosophique était-il paru aux yeux de l'Europe éton-
née ? Telle était la question que se posait le malheureux Col-
line ; et on comprendra cette anxiété quand on saura que le
philosophe n'avait pas encore eu les honneurs de la typogra-
phie, et qu'il brûlait du désir de voir quel effet produirait sa
prose imprimée en caractère cicéro. Pour se procurer cette sa-
tisfaction d'amour-propre, il avait déjà dépensé six francs en
séance de lecture dans tous les salons littéraires de Paris, sans
y rencontrer le Castor. N'y pouvant plus tenir, Colline se jura
à lui-môme qu'il ne prendrait pas une minute de repos avant
d'avoir mis la main sur l'introuvable rédacteur de cette feuille.

Aidé par des hasards qu'il serait trop long défaire connaître,
le philosophe s'était tenu parole. Deux jours après, il connais-
sait bien le domicile de Rodolphe, et se présentait chez lui à
six heures du matin.

Rodolphe habitait alors un hôtel garni d'une rue déserte si-
tuée dans le faubourg Saint-Germain, et il logeait au cinquième
parce qu'il n'y avait point de sixième. Lorsque Colline arriva à
la porte, il ne trouva point la clef dessus. Il frappa pendant dix
minutes sans qu'on lui répondit de l'intérieur; le vacarme ma-
tinal attira môme le portier qui vint prier Colline de se taire.

— Vous voyez bien que ce monsieur dort, dit-il.

— C'est pour cela que je veux le réveiller, répondit Colline
en frappant de nouveau.

— Il ne veut pas vous répondre, alors, reprit le concierge en
déposant à la porte de Rodolphe une paire de bottes vernies
et une paire de bottines de femme qu'il venait de cirer.

— Attendez donc un peu, fit Colline en examinant la chaus-
sure mâle et femelle, des bottes vernies toutes neuves ! Je me
serai trompé de porte, ce û*èst pas ici que j'ai affaire.
 
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