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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0108
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100 LA VIE DE BOHEME

éléments, dit Rodolphe en tombant anéanti sur sa chaise. César
a passé le Rubicon, mais il n'aurait point passé la Bérésina.

Tout à coup le poëte poussa un cri de joie du fond de sa poi-
trine d'ours, et il se leva si brusquement qu'il renversa une
partie de son encre sur la blancheur de sa fourrure : il avait eu
une idée, renouvelée de Chatterton.

Rodolphe tira de dessous son lit un amas considérable de
papiers, parmi lesquels se trouvaient une dizaine de manuscrits
énormes de son fameux drame du Vengeur. Ce drame, auquel
il avait travaillé deux ans, avait été fait, défait, refait tant de
fois, que les copies réunies formaient un poids de sept kilo-
grammes. Rodolphe mit de côté le manuscrit le plus récent et
traîna le manuscrit devant la cheminée.

— J'étais bien sûr que j'en trouverais le placement, s'écria-
t-il... avec de la patience! Voilà certainement un joli cotret de
prose. Ah ! si j'avais pu prévoir ce qui arrive, j'aurais fait un
prologue, et aujourd'hui j'aurais plus de combustible. Mais
bah! on ne peut pas tout prévoir. Et il alluma dans sa cheminée
quelques feuilles du manuscrit, à la flamme desquelles il se dé-
gourdit les mains. Au bout de cinq minutes, le premier acte
du Vengeur était-j'owe et Rodolphe avait écrit trois vers de son
épilaphe.

Rien au monde ne saurait peindre l'étonnement des quatre
vents cardinaux en apercevant du feu dans la cheminée.

— C'est une illusion, souffla le vent du nord, qui s'amusa à
rebrousser le poil de Rodolphe.

— Si nous allions souffler dans le tuyau, reprit un autre vent,
ça ferait fumer la cheminée. Mais comme ils allaient commen-
cer à tarabuster le pauvre Rodolphe, le vent du sud aperçut
M. Arago à une fenêtre de l'Observatoire, où le savant faisait du
doigt une menace au quatuor d'aquilons.

Aussi le vent du sud cria à ses frères : Sauvons-nous bien
vite, l'almanach marque un temps calme pour cette nuit; nous
nous trouvons en contravention avec l'Observatoire, et si nous
ne sommes pas rentrés à minuit, M. Arago nous fera mettre en
retenue.

Pendant ce temps-là, le deuxième acte du Vengeur brûlait
avec le plus grand succès. Et Rodolphe avait écrit dix vers.
Mais il ne put en écrire que deux pendant la durée du troisième
acte.

— J'avais toujours pensé que cet acte-là était trop court,'
murmura Rodolphe ; mais il n'y a qu'à la représentation qu'on
s'aperçoive d'un défaut. Heureusement que celui-ci va durer
plus longtemps : il y a vingt-trois scènes, dont la scène du
trône, qui (levait être celui de ma gloire... La dernière tirade
do la scène du trône s'enT olait en flammèches comme Rodolphe
avait encore un sixain à écrire.

— Passons au quatrième acte, dit-il en prenant un air de
feu. Il durera bien cinq minutes, c'est tout monologue. Il passa
 
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