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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0268
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LA VIE DE BOHEME

Colline était chargé, comme toujours, d'une douzaine de bou-
quins. Vêtu de cet immortel paletot noisette dont la solidité fait
croire qu'il a été construit par les Romains, et coiffé de ce
fameux chapeau à grands rebords, dôme en castor sous lequel
s'agitait l'essaim des rêves hyperphysiques, et qui a été sur-
nommé l'armet de Mambrin de la philosophie moderne, Gustave
Colline marchait à pas lent, et ruminait tout bas la préface d'un
ouvrage qui était depuis trois mois sous presse... dans son ima-
gination. Gomme il s'avançait vers l'endroit où Rodolphe était
arrêté, Colline crut un instant le reconnaître; mais la suprême
élégance étalée par le poète jeta le philosophe dans le doute et
l'incertitude.

— Rodolphe ganté, avec une canne, chimère ! utopie! quelle
aberration! Rodolphe frisé! lui qui a moins de cheveux que
l'Occasion. Où donc avais-je la tête? D'ailleurs, à l'heure qu'il est,
mon malheureux ami est en train de se lamenter, et compose
des vers mélancoliques sur le départ de la jeune mademoiselle
Mimi, qui l'a planté là, ai-je oui dire. Ma foi, je la regrette, moi,
cette jeunesse ; elle apportait une grande distinction dans la
manière de préparer le café, qui est le breuvage des esprits sé-
rieux. Mais j'aime à croire que Rodolphe se consolera, et qu'il
prendra bientôt une nouvelle cafetière.

Et Colline était si enchanté de son déplorable jeu de mots,
qu'il se serait volontiers crié bis... si la voix grave de la philoso-
phie ne s'était intérieurement réveillée en lui, et n'avait mis un
énergique holà à cette débauche d'esprit.

Cependant, comme il était arrêté près de Rodolphe, Colline
fut bien forcé de se rendre à l'évidence; c'était bien Rodolphe,
frisé, ganté, avec une canne ; c'était impossible, mais c'était vrai.

— Eh! eh! parbleu, dit Colline, je ne me trompe pas, c'est
bien toi, j'en suis sûr.

— Et moi aussi, répondit Rodolphe.

Et Colline se mit à considérer son ami, en donnant à son
visage l'expression employée par M. Lebrun, peintre du roi, pour
exprimer la surprise. Mais tout à coup il aperçut deux objets
bizarres dont Rodolphe était chargé : 1° une échelle de corde ;
2° une cage dans laquelle voltigeait un oiseau quelconque. À
cette vue, la physionomie de Gustave Colline exprima un senti-
ment que M. Lebrun, peintre du roi, a oublié dans son tableau
des passions.

— Allons, dit Rodolphe à son ami, je vois distinctement la
curiosité de ton esprit qui se met à la fenêtre de tes yeux; je
vais te satisfaire; seulement, quittons la voie publique, il fait'un
froid qui gèlerait tes interrogations et mes réponses.

Et tous deux entrèrent dans un café.

Les yeux de Colline ne quittaient point l'échelle de corde, non
plus que la cage où le petit oiseau, réchauffé par l'atmosphère
du café, se mit à chanter dans une langue inconnue à Colline,
qui était cependant polyglotte.

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