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Murger, Henri; Gill, André [Ill.]
La vie de bohème — Paris, [1877]

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https://doi.org/10.11588/diglit.8482#0275
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LA VIE DE BOHÊME

207

bon de faire une petite répétition de la scène du balcon, s'il ne
voulait pas, outre les chances d'une chute, courir le risque de
se montrer ridicule et maladroit aux yeux de celle qui allait
l'attendre. Ayant attaché son échelle à deux clous, solidement
enfoncés dans le plafond, Rodolphe employa les deux heures
qui lui restaient à faire de la gymnastique ; et, après un nombre
infini de tentatives, il parvint tant bien que mal à pouvoir fran-
chir une dizaine d'échelons.

— Allons, c'est bien, se dit-il, je suis maintenant sûr de mon
affaire, et d'ailleurs, si je restais en chemin l'amour me donnerait
des ailes.

Et, chargé de son échelle et de sa cage à pigeon, il se rendit
chez Juliette qui habitait son voisinage. Sa chambre était située
au fond d'un petit jardin et possédait bien, en effet, une espèce
de balcon. Mais cette chambre était au rez-de-chaussée, et ce
balcon pouvait s'enjamber le plus facilement du monde.

Aussi Rodolphe fut-il tout afîterré lorsqu'il s'aperçut de cette
disposition locale qui mettait à néant son poétique projet d'es-
calade.

— C'est égal, dit-il à Juliette, nous pourrons toujours exécuter
l'épisode du balcon. Voilà un oiseau qui nous éveillera demain
par sa voix mélodieuse, et nous avertira du moment précis où
nous devrons nous séparer l'un de l'autre avec désespoir. Et
Rodolphe accrocha la cage dans un angle de la chambre.

Le lendemain, à cinq heures du matin, le pigeon fut parfaite-
ment exact, et remplit la chambre d'un roucoulement prolongé
qui aurait réveillé les deux amants s'ils avaient dormi.

— Eh bien, dit Juliette, voilà le moment d'aller sur le balcon
et de nous faire des adieux désespérés ; qu'en penses-tu?

— Le pigeon avance, dit Rodolphe; nous sommes en novem-
bre, le soleil ne se lève qu'à midi.

— C'est égal, dit Juliette, je me lève, moi.

— Tiens ! pourquoi faire?

— J'ai l'estomac creux, et je ne te cacherai pas que je
mangerais bien un peu.

— C'est extraordinaire l'accord qui règne dans nos sym-
pathies, j'ai également une faim atroce, dit Rodolphe en se
levant aussi et en s'habillant en toute hâte.

Juliette avait déjà allumé du feu, et cherchait dans son buffet
si elle ne trouverait rien ; Rodolphe l'aidait dans ses recherches.

— Tiens, dit-il, des oignons!

— Et du lard, dit Juliette.

— Et du beurre.

— Et du pain.

— Hélas ! c'est toutl

Pendant ces recherches, le pigeon optimiste et insoucieux
chantait sur son perchoir.

Roméo regarda Juliette, Juliette regarda Roméo ; tous deux
regardèrent le pigeon.
 
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