Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
323

LA VIE DE BOHEME

Claude — en oubliant delà cacheter, car il avait deviné qu'An-
gélique voulait y ajouter un pvst-scriptum.

Le lendemain, lorsque Claude, ayant reçu la lettre, l'ouvrait
pour la lire, une petite feuille verte s'échappa de ses plis : c'é-
tait une feuille de platane, la première qui fût sortie du bour-
geon printanier, et qu'Angélique avait cueillie sur cet arbre,
qu'elle ne pouvait regarder sans rougir, pour la glisser dans la
lettre. Claude devina bien en effet quelle main lui adressait ce
souvenir; mais il le ramassa et le serra tranquillement dans le
papier qui le lui avait apporté, sans écouter toutes les choses
charmantes qu'était chargé de lui dire ce messager qui portait
les couleurs de l'espérance.

Tous les dimanches, Claude allait à la messe le matin, et les
jours de grande fête il assistait à l'office complet. Deux fois par
mois, il avait l'habitude d'aller dîner et passer une parlic de la
soirée chez un des amis de son oncle, — l'abbé Moriot, vicaire
de la paroisse Saint-Jacques du Haut Pas. — la seule personne
de connaissance qu'il eût à Paris. Un dimanche soir, l'abbé Mo-
riot s'étant trouvé indisposé après le dîner, Claude se retira
plus tôt que de coutume. Il faisait grand jour lorsqu'il se trouva
dans la rue et, avant de rentrer chez lui pour se mettre au tra-
vail, comme il en avait l'habitude chaque soir, il lui prit la fan-
taisie d'entrer dans le jardin du Luxembourg pour y attendre
la tombée de la nuit. On était alors dans les derniers jours
d'avril, une magnifique soirée terminait une journée admirable
la première du printemps tardif, et durant laquelle le nouveau
soleil de l'année avait fait son début solennel dans des cieux qui
eussent rivalisé avec l'azur vénitien. Tout le quartier semblait
s'être donné rendez-vous dans ce beau jardin que Claude con-
naissait à peine, bien qu'il en fût proche voisin, il alla d'abord
s'asseoir sur la terrasse qui domine l'une des pelouses réservées
où la musique d'un régiment donnait un concert. Cette partie
du jardin est, durant la belle saison, une espèce de salon de
conversation en plein air. Habituées à s'y rencontrer chaque
soir, toutes les personnes qui viennent s'y promener ou s'y as-
seoir se connaissent un peu : de là une espèce de familiarité
distinguée qu'on y remarque. Les femmes y brodent, les maris
lisent le journal, les enfants jouent. Ce spectacle commença à
jeter quelques germes de tristesse dans la pensée de Claude,
déjà énervé à son insu par la musique, qui exécutait ce soir-là
les motifs les plus mélancoliques de Lucie et de la Favorite, ces
deux élégies jumelles, filles d'une inspiration maladive, et
dont l'harmonie éplorée s'épanche avec le murmure d'un ruis-
seau de larmes. Claude quitta brusquement la place sans at-
tendre la fin du concert, et s'enfonça dans ces massifs épais où
les arbres entendent chaque été s'échanger plus de serments
qu'ils n'ont de feuilles à leurs branches ; mais, à peine entré
sous la voûte-déjà touffue des grands marronniers dont les
rayons du couchant incendiaient la cime, Claude croisa à
 
Annotationen