464 LA VIE DE BOHÈME
les roses ne mettent point d'eau de Cologne. Le matin où
Claude vint la trouver, elle était vêtue d'un joli négligé prin-
tanier ; ses cheveux étaient si bien lissés sur son front, qu'on
eût dit une plaque d'acier sur laquelle courait un rayon lu-
mineux; des manches flottantes de son peignoir sortaient ses
beaux bras, dont la blancheur mate était mise en valeur par de
petits bracelets formés d'un ruban de velours noir serré au
poignet. Elle paraissait en belle humeur et pas le moins du
monde préoccupée de la réponse que Claude venait lui apporter.
Attendant peut-être qu'il parlât le premier, elle continuait
l'arrangement de ses fleurs sans prendre garde au jeune homme,
qui se tenait debout, les mains sur le dossier de la chaise, dans
une allitude très-embarrassée.
— Voulez-vous que je vous embaume? dit tout à coup Ma-
riette, et relevant les yeux sur Claude, elle lui offrit un œillet.
Approchez-vous, dit-elle, je vais le mettre à votre boutonnière.
Claude hésita un instant;mais il songea qu'un refus serait
une grossièreté et il se laissa faire.— Je vous fais chevalier do
l'ordre du Printemps, ajouta la jeune fille en riant. Et se pen-
chant pour mettre la fleur à sa boutonnière : — Eh bien ! dit-ello
en restant un moment dans cette position qui mettait son
visage à une distance si rapprochée de celui du jeune homme,
quand on fait un chevalier, l'usage est de donner l'accolade ;
est-ce que vous ignorez les usages?
Claude avait hésité à prendre la fleur, mais l'offre- non
équivoque de ce baiser si gentiment quémandé le fit plus
qu'hésiter, elle le remplit de confusion. Il devint subitement
plus rouge que la fleur dont Marietle semblait lui demander le
payement en une monnaie dont un jeune homme n'est point
ordinairement avare, quand c'est la joue d'une jolie fille qui
fait la quête. Cette familiarité paraissait étrange à Claude, et
surtout dans les circonstances où il se présentait. Il ne devina
point que.ce n'était de la part de Mariette qu'un pur enfan-
tillage, et qu'elle n'avait d'autre arrière-pensée que de le ta-
quiner un peu. 11 se décida à faire semblant den'avoirpas com-
pris et détourna brusquement la tête en se félicitant de son
action, qu'il considérait comme héroïque;car en lui-même il
ne se dissimulait pas qu'il avait dù lutter contre le furieux
aimant qui semblait malgré lui attirer ses lèvres sur ce char-
mant visage, et encore n'était-il pas bien sûr que le baiser n'y
fût pas allé tout seul. En tout cas, Mariette ne le tint pas pour
reçu, et, relevant la tête avec un air étonné et dépité, elle se
regarda en jouant une maligne inquiétude, dans la petite glace
d'une boîte à ouvrage ouverte devant elle.
— Eh bien ! ma pauvre fille, murmura-t-elle avec un demi-
sourire, et comme si elle se parlait à elle-même, il paraît que
tu es devenue laide à faire peur, ou bien c'est qu'il y a des gens
qui ne s'y connaissent pas. — C'est pour vous que je dis cela,
ajouta-t-elle en regardant fixement Claude; mais je comprends
l . •
les roses ne mettent point d'eau de Cologne. Le matin où
Claude vint la trouver, elle était vêtue d'un joli négligé prin-
tanier ; ses cheveux étaient si bien lissés sur son front, qu'on
eût dit une plaque d'acier sur laquelle courait un rayon lu-
mineux; des manches flottantes de son peignoir sortaient ses
beaux bras, dont la blancheur mate était mise en valeur par de
petits bracelets formés d'un ruban de velours noir serré au
poignet. Elle paraissait en belle humeur et pas le moins du
monde préoccupée de la réponse que Claude venait lui apporter.
Attendant peut-être qu'il parlât le premier, elle continuait
l'arrangement de ses fleurs sans prendre garde au jeune homme,
qui se tenait debout, les mains sur le dossier de la chaise, dans
une allitude très-embarrassée.
— Voulez-vous que je vous embaume? dit tout à coup Ma-
riette, et relevant les yeux sur Claude, elle lui offrit un œillet.
Approchez-vous, dit-elle, je vais le mettre à votre boutonnière.
Claude hésita un instant;mais il songea qu'un refus serait
une grossièreté et il se laissa faire.— Je vous fais chevalier do
l'ordre du Printemps, ajouta la jeune fille en riant. Et se pen-
chant pour mettre la fleur à sa boutonnière : — Eh bien ! dit-ello
en restant un moment dans cette position qui mettait son
visage à une distance si rapprochée de celui du jeune homme,
quand on fait un chevalier, l'usage est de donner l'accolade ;
est-ce que vous ignorez les usages?
Claude avait hésité à prendre la fleur, mais l'offre- non
équivoque de ce baiser si gentiment quémandé le fit plus
qu'hésiter, elle le remplit de confusion. Il devint subitement
plus rouge que la fleur dont Marietle semblait lui demander le
payement en une monnaie dont un jeune homme n'est point
ordinairement avare, quand c'est la joue d'une jolie fille qui
fait la quête. Cette familiarité paraissait étrange à Claude, et
surtout dans les circonstances où il se présentait. Il ne devina
point que.ce n'était de la part de Mariette qu'un pur enfan-
tillage, et qu'elle n'avait d'autre arrière-pensée que de le ta-
quiner un peu. 11 se décida à faire semblant den'avoirpas com-
pris et détourna brusquement la tête en se félicitant de son
action, qu'il considérait comme héroïque;car en lui-même il
ne se dissimulait pas qu'il avait dù lutter contre le furieux
aimant qui semblait malgré lui attirer ses lèvres sur ce char-
mant visage, et encore n'était-il pas bien sûr que le baiser n'y
fût pas allé tout seul. En tout cas, Mariette ne le tint pas pour
reçu, et, relevant la tête avec un air étonné et dépité, elle se
regarda en jouant une maligne inquiétude, dans la petite glace
d'une boîte à ouvrage ouverte devant elle.
— Eh bien ! ma pauvre fille, murmura-t-elle avec un demi-
sourire, et comme si elle se parlait à elle-même, il paraît que
tu es devenue laide à faire peur, ou bien c'est qu'il y a des gens
qui ne s'y connaissent pas. — C'est pour vous que je dis cela,
ajouta-t-elle en regardant fixement Claude; mais je comprends
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