424
LA VIE DE BOHEME
— Eh bien! qu'allez-vous faire maintenant? — Est-ce que
vous comptez rester longtemps veuve?
— Ah ! que non pas ! répondit Mariette ; et elle ajouta, en lui
désignant l'orchestre : — Tenez, voici les violons de mes noces.
— Comment ! déjà ! — sitôt ! Marianne, fît l'étudiant avec un
accent étonné. Et le futur? ...
• — Le futur," répondit-elle sur le même ton de légèreté, —
mais il doit être quelque part, — par ici.
— Qui est-ce ? — sans indiscrétion.
— Ma loi! je n'en sais rién encore. — J'ai l'embarras du
choix ; — et vous devriez m'aider à fixer le mien.
— Mais, répondit l'étudiant en riant beaucoup, — puisqu'il
en est ainsi, Marianne, — je me porte candidat, — et je me
choisis moi-même.
— Oh ! non, dit-elle sérieusement, — pas vous.
— Mais pourquoi pasmoi?insistale jeunehomme.- -Tenez Ma-
rianne, je ne vous en ai jamais rien dit, parce qu'Edouard était mon
ami; — mais, la, bien vrai, j'ai toujours eu du goût pour vous,—
un goût sérieux, Marianne, quelque chose qui était plus qu'un
caprice. — Je me suis fait maintes fois violence pour me taire.
— Mais, aujourd'hui que vous voilà libre, si vous le vouliez....
je n'aurais qu'à remettre un instant mon amour sur le feu, — il
ne serait pas long à bouillir.—Passez-moi ce style de romance;
—mais vous est la femme que j'ai rêvée, et je suis sûr que je vous
aimerai de tout mon cœur.
— C'est justement parce que j'en suis sûre aussi, mon ami,
lui répondit Mariette, que je refuse.
— Est-ce parce que j'ai été l'ami d'Edouard?
— Non, lui répondit-elle : l'amour que vous m'offrez, je ne
pourrais vous le rendre. — Vous êtes un de ces amoureux de
ballade allemande qui aiment à cueillir des myosotis au bord
des fontaines, une espèce de Werther du quartier du Luxembourg,
dont l'amour égoïste et jaloux voudrait posséder à lui seul le
cœur de sa Charlotte. — Mon cœur à moi bat maintenant dans
le corset de Frétillon. — Vous ouvrez de grands yeux, et vous
semblez douter si c'est bien Marianne qui vous parle ainsi. C'est
elle, en effet.— Seulement la rustique élégie que vous avez
jadis entendue soupirer l'amour léchante aujourd'hui dans une
gaudriole joyeuse. Et, avec un cynisme qu'elle était encore au
fond bien loin d'avoir, Mariette montra du doigt les femmes qui
se trouvaient là, et répondit : Je ferai comme les autres !
— Est-ce bien vrai ce que vous dites là? fit le jeune homme.
Est-ce bien vous que j'entends parler ainsi?
— Que voulez-vous ? répondit Mariette tristement, je suis
maintenant pareille à toutes les femmes qui sont ici. Elles ont
peut-être souffert comme moi, et sont venues demander au
plaisir l'oubli de leurs tourments. Je farai comme'elles.
— Ah! Marianne, reprit l'étudiant, réfléchissez bien avant
de vous jeter dans l'abîme, et mesurez-en toute la profondeur.
m-,
I3r~
V Ê
LA VIE DE BOHEME
— Eh bien! qu'allez-vous faire maintenant? — Est-ce que
vous comptez rester longtemps veuve?
— Ah ! que non pas ! répondit Mariette ; et elle ajouta, en lui
désignant l'orchestre : — Tenez, voici les violons de mes noces.
— Comment ! déjà ! — sitôt ! Marianne, fît l'étudiant avec un
accent étonné. Et le futur? ...
• — Le futur," répondit-elle sur le même ton de légèreté, —
mais il doit être quelque part, — par ici.
— Qui est-ce ? — sans indiscrétion.
— Ma loi! je n'en sais rién encore. — J'ai l'embarras du
choix ; — et vous devriez m'aider à fixer le mien.
— Mais, répondit l'étudiant en riant beaucoup, — puisqu'il
en est ainsi, Marianne, — je me porte candidat, — et je me
choisis moi-même.
— Oh ! non, dit-elle sérieusement, — pas vous.
— Mais pourquoi pasmoi?insistale jeunehomme.- -Tenez Ma-
rianne, je ne vous en ai jamais rien dit, parce qu'Edouard était mon
ami; — mais, la, bien vrai, j'ai toujours eu du goût pour vous,—
un goût sérieux, Marianne, quelque chose qui était plus qu'un
caprice. — Je me suis fait maintes fois violence pour me taire.
— Mais, aujourd'hui que vous voilà libre, si vous le vouliez....
je n'aurais qu'à remettre un instant mon amour sur le feu, — il
ne serait pas long à bouillir.—Passez-moi ce style de romance;
—mais vous est la femme que j'ai rêvée, et je suis sûr que je vous
aimerai de tout mon cœur.
— C'est justement parce que j'en suis sûre aussi, mon ami,
lui répondit Mariette, que je refuse.
— Est-ce parce que j'ai été l'ami d'Edouard?
— Non, lui répondit-elle : l'amour que vous m'offrez, je ne
pourrais vous le rendre. — Vous êtes un de ces amoureux de
ballade allemande qui aiment à cueillir des myosotis au bord
des fontaines, une espèce de Werther du quartier du Luxembourg,
dont l'amour égoïste et jaloux voudrait posséder à lui seul le
cœur de sa Charlotte. — Mon cœur à moi bat maintenant dans
le corset de Frétillon. — Vous ouvrez de grands yeux, et vous
semblez douter si c'est bien Marianne qui vous parle ainsi. C'est
elle, en effet.— Seulement la rustique élégie que vous avez
jadis entendue soupirer l'amour léchante aujourd'hui dans une
gaudriole joyeuse. Et, avec un cynisme qu'elle était encore au
fond bien loin d'avoir, Mariette montra du doigt les femmes qui
se trouvaient là, et répondit : Je ferai comme les autres !
— Est-ce bien vrai ce que vous dites là? fit le jeune homme.
Est-ce bien vous que j'entends parler ainsi?
— Que voulez-vous ? répondit Mariette tristement, je suis
maintenant pareille à toutes les femmes qui sont ici. Elles ont
peut-être souffert comme moi, et sont venues demander au
plaisir l'oubli de leurs tourments. Je farai comme'elles.
— Ah! Marianne, reprit l'étudiant, réfléchissez bien avant
de vous jeter dans l'abîme, et mesurez-en toute la profondeur.
m-,
I3r~
V Ê