TLEMCEN
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architecture. It y a deux portes dont l’une regarde devers la campagne
et l’autre (là où demeure le capitaine du château) est du côté de la
cité, hors laquelle se voyent de belles possessions et maisons, là où les
citoyens ont accoutumé en temps d’été demeurer, pour le bel ébat
qu’on y trouve : pouree qu’outre la plaisance et belle assiette du lieu,
il y a des puys et fontaines vives d’eau douce et fraîche, puis audedans
le pourpris de chacune possession, sont des treilles de vignes, qui pro-
duisent les raisins de diverses couleurs, et d’un goût fort délicat, avec
des cerises de toutes sortes et en si grande quantité, que je n’en vey
jamais tant en lieu, où je me sovs retrouvé. Outre ce, il y croît des
figues douces, qui sont noires, grosses et fort longues, lesquelles on
faitseicber pour manger en yver, avec peicbes, nois, amendes, melons,
citrouilles et autres espèces de fruits. Sur un fleuve nommé Sefsif,
distant de la cité par l’espace de trois miles, y a plusieurs moulins à
blé et d’autres aussi plus prochains d’icelle en un côté de la montagne
Elcalha du côté du midy, retournant devers la vile, demeurent plusieurs
juifs, advocas, notaires, lesquels soutiennent et plaident les causes. Il
y a plusieurs lecteurs et écoliers en diverses facultés, tant en la loy,
comme aux matématiques ; et ont leurs provisions ordinairement des
colèges. Les habitants sont divisés en quatre parties : écoliers, mar-
chans, soldats et artisans. Les marclians sont pécunieux, opulens en
possessions, hommes justes, ayans en singulière recommandation la
loyauté et honnêteté en leurs afaires et prenant merveilleusement grand
plaisir à tenir la cité garnie, en sorte que, pour y faire conduire la
marchandise, se transportent au païs des noirs. Les artisans sont fort
dispos et bien pris de leurs personnes, menans une très plaisante vie
et paisible... Les soldats du Roy sont tous gens d’élite et soudoyés selon
qu’on les sent suffisans et mettables, tellement que le moindre d’entre
eux touche trois ducats pour mois des leurs, qui sont trois et demy des
nôtres : y est ordonné ce salaire pour homme et cheval, car en Afrique
on entend tout soldat pour cheval léger. Les écoliers sont fort pauvres
et demeurent aux colèges avec une très grande misère. Mais quand ils
viennent à être doctorés, on leur donne quelque ofice de lecteur, ou
notaire, ou bien ils se font prêtres. Les marclians et citoyens sont hono-
rablement vêtus et le plus souvent mieux en ordre, que ceux de Lez
même; pourceque (à dire vray) ils sont plus magnifiques et libéraux.
Les artisans aussi s’acoutrent assez honorablement, mais leur habit est
court et s’en trouve peu qui portent turban en tête, ainsi seulement quel-
ques bonnets sans reply, avec des hauts-souliers jusques à my jambe.
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architecture. It y a deux portes dont l’une regarde devers la campagne
et l’autre (là où demeure le capitaine du château) est du côté de la
cité, hors laquelle se voyent de belles possessions et maisons, là où les
citoyens ont accoutumé en temps d’été demeurer, pour le bel ébat
qu’on y trouve : pouree qu’outre la plaisance et belle assiette du lieu,
il y a des puys et fontaines vives d’eau douce et fraîche, puis audedans
le pourpris de chacune possession, sont des treilles de vignes, qui pro-
duisent les raisins de diverses couleurs, et d’un goût fort délicat, avec
des cerises de toutes sortes et en si grande quantité, que je n’en vey
jamais tant en lieu, où je me sovs retrouvé. Outre ce, il y croît des
figues douces, qui sont noires, grosses et fort longues, lesquelles on
faitseicber pour manger en yver, avec peicbes, nois, amendes, melons,
citrouilles et autres espèces de fruits. Sur un fleuve nommé Sefsif,
distant de la cité par l’espace de trois miles, y a plusieurs moulins à
blé et d’autres aussi plus prochains d’icelle en un côté de la montagne
Elcalha du côté du midy, retournant devers la vile, demeurent plusieurs
juifs, advocas, notaires, lesquels soutiennent et plaident les causes. Il
y a plusieurs lecteurs et écoliers en diverses facultés, tant en la loy,
comme aux matématiques ; et ont leurs provisions ordinairement des
colèges. Les habitants sont divisés en quatre parties : écoliers, mar-
chans, soldats et artisans. Les marclians sont pécunieux, opulens en
possessions, hommes justes, ayans en singulière recommandation la
loyauté et honnêteté en leurs afaires et prenant merveilleusement grand
plaisir à tenir la cité garnie, en sorte que, pour y faire conduire la
marchandise, se transportent au païs des noirs. Les artisans sont fort
dispos et bien pris de leurs personnes, menans une très plaisante vie
et paisible... Les soldats du Roy sont tous gens d’élite et soudoyés selon
qu’on les sent suffisans et mettables, tellement que le moindre d’entre
eux touche trois ducats pour mois des leurs, qui sont trois et demy des
nôtres : y est ordonné ce salaire pour homme et cheval, car en Afrique
on entend tout soldat pour cheval léger. Les écoliers sont fort pauvres
et demeurent aux colèges avec une très grande misère. Mais quand ils
viennent à être doctorés, on leur donne quelque ofice de lecteur, ou
notaire, ou bien ils se font prêtres. Les marclians et citoyens sont hono-
rablement vêtus et le plus souvent mieux en ordre, que ceux de Lez
même; pourceque (à dire vray) ils sont plus magnifiques et libéraux.
Les artisans aussi s’acoutrent assez honorablement, mais leur habit est
court et s’en trouve peu qui portent turban en tête, ainsi seulement quel-
ques bonnets sans reply, avec des hauts-souliers jusques à my jambe.