Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 4]): L'art moderne — Paris: Librarie Plon, 1948

DOI Seite / Zitierlink:
https://doi.org/10.11588/diglit.71101#0026
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
plus grande guerre de l'Histoire, un tel tourbillon de conflits
d'intérêts et d'idées l'emporte, que ses lendemains sont
obscurs. Cependant, les besoins de la foule européenne
restent ce qu'ils étaient. Quand des peuples entiers parti-
cipent à la guerre, avant-hier encore jeu et moyen des aris-
tocraties, la guerre a plus d'action sur leur commun devenir.
La guerre elle-même n'est-elle pas un phénomène extérieur
à la conscience, une crise biologique terrible où l'individu
disparaît, où seules éclatent ces puissances aveugles de vie
collective destinées à briser ou à renouveler de fond en
comble les facultés d'énergie et d'amour qui y participent?
Comme l'intelligence était dépassée par la vie, la conscience
morale est débordée par la guerre. Dans le vent des pampres
secoués, sous la pluie tourbillonnante des grappes et des
fleurs, l'ivresse dionysiaque bondit au son des crotales, des
rires, des râles d'amour. Mais les griffes des panthères
déchirent les membres nus. La mort et la résurrection
tournent dans la bacchanale. Si l'âme européenne n'est pas
anéantie, les hommes d'Europe bâtiront.
Le xixe siècle, surtout en France, est une cathédrale
diffuse. Il s'agit de l'édifier. Le néant de l'architecture, depuis
cent ans, est très significatif. Le règne de l'individu entraîne
la chute du monument. Nous avons vu cela bien souvent
dans l'Histoire, après l'Égypte, après la Grèce légendaire,
et quand le Japon s'est émancipé de la Chine, et quand la
Renaissance a fait descendre des églises leurs vitraux pour
les broyer sur la toile, leurs statues pour en orner les avenues
et les jardins. Si le règne de l'individu aboutit à le rendre à la
multitude, parce qu'il devient lui-même trop peuplé pour se
contenir, l'architecture, œuvre des foules anonymes renaîtra,
et la peinture et la sculpture rentreront dans le monument.
L'art d'aujourd'hui obéit tout entier, même dans ses formes
les plus passagères, à un besoin obscur de subordination à
quelque tâche collective encore inconnue, qui lui suggère à
son insu, et aussi confus et divers qu'il soit en apparence, la
direction de ses lignes et la qualité de ses tons. Où allons-
nous? Où l'esprit de vie le voudra.

— x6 —
 
Annotationen