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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 4]): L'art moderne — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71101#0103
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savent. Ils livrent aux civilisés le gouvernement de leurs sens.
Pour un peuple sans caractère, la défaite est définitive. Un
peuple décidé à se définir, au contraire, s'aperçoit tout à coup
qu'il n'a rien dit encore sur lui-même et emploie l'instru-
ment qu'il n'a pas forgé à explorer ses profondeurs. Quand
Alonso Berruguete, fils d'un bon ouvrier de peinture qui
avait apporté aux travaux de Juan de Borgona une colla-
boration ingénue, eut appris en Italie le langage de Michel-
Ange, la Renaissance ne pouvait pénétrer l'Espagne plus
avant. L'aisance de Berruguete à tordre les torses sur les
hanches, à faire reculer une face dans l'ombre d'une épaule,
à raviner un ventre musculeux de ténèbres et de clartés, à
poursuivre la réalité la plus terrible et la plus grave dans un
cadavre étendu rend témoignage que l'Espagne réagit au
moment même où elle paraît s'abandonner. Elle n'utilise
un style appris qu'elle va tenter d'oublier que pour appro-
fondir sa foi de plus en plus cruellement. Berruguete venait
de mourir quand Juan de Herrera construisit l'Escorial.
L'Espagne n'a pas d'architecture. Mais s'il est un monu-
ment qui traduise l'effort qu'elle dut accomplir pour résister
à l'invasion des styles compliqués et déclamatoires nés de la
rencontre des gothiques, des Arabes et des renaissants,
c'est celui-là. Il est aride. Ses longs murs nus et gris sont
d'une affreuse tristesse. Il monte d'un désert de pierre, seul
avec le sombre soleil. Philippe II y est mort dans une cellule
sans ouverture sur le ciel.
Vers la fin du siècle violent qui avait vu l'Espagne saisir
le Portugal et les Deux-Siciles, dominer l'Allemagne, vaincre
la France, refouler l'Islam, conquérir l'Amérique, lancer
contre l'Angleterre l'Armada, il appela pour orner sa tombe
quelques mauvais peintres qui prolongeaient à Gênes
l'agonie de Rome et de Venise. Il faisait comme son père,
qui s'était attaché Titien. Mais Titien venait de mourir
centenaire, et Philippe II, habitué aux formes magnifiques
que l'art italien épanoui déployait sous ses yeux depuis son
enfance, préférait comme toujours leur reflet et leur écorce
au sombre esprit qui s'ébauchait dans le sillage des armées,

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