ture et les dessus de porte, les coffrets et les éventails, les
monotones motifs des bergeries et des pastorales. Accueil-
lant, généreux, jouisseur, adoré des hommes et des femmes,
échangeant sans cesse avec son siècle ce qu'il leur faut à
tous les deux pour aimer et être aimés, il se tient avec la
maîtresse du Roi au centre de son cercle tournoyant d'amours
ailés et de fleurs tressés en guirlandes qu'il est tout à fait
libre, comme seuls le sont les artistes de race, d'essaimer et
d'accrocher partout où le veut la fantaisie alerte et spontanée
de son désir toujours d'accord avec les besoins qui le solli-
citent. Tout s'adapte sans effort aux formes de plus en plus
circulaires qu'imaginent l'architecte et l'ébéniste mondain,
pour obéir à la grâce flexible de ce monde où la conversation
philosophique et galante parcourt des lignes sinueuses et
fait des détours délicats. Les grasses et molles rondeurs
tournent avec les boiseries et les cadres, bergers joufflus,
bergères enrubannées, soubrettes que le peintre élève à la
dignité de déesses en les déshabillant, et leur chair poupine
et sanguine et leur sourire et leurs fossettes et la courbe élas-
tique et bientôt boursouflée de leur croupe et de leurs seins.
Les enfants potelés du sculpteur Bouchardon sont entraînés
dans la ronde. Fragonard est prévu, et Boucher, par son
savoureux maître Lemoyne, par Watteau, par le monde de
décorateurs et d'artisans qu'il inspire, lie tout le fragile décor
de l'aristocratie française au suprême enseignement de la
fête italienne que Tiepolo, en même temps que lui, déploie
sur le plafond des alcôves et des salons vénitiens. Presque
libérées de la forme, les harmonies aériennes parsèment,
avec le fard des joues et la poudre volante, des ciels légers
où le tourbillon des nuages s'efface peu à peu dans le rose et
l'argent diffus.
Par malheur, sa ligne entortillée et serpentine interdit au
décorateur de s'évader tout à fait dans l'espace et le ramène
toujours à la besogne de mondanité tyrannique pour laquelle
il est né. Il reste prisonnier du prince. Pour la première fois,
l'artiste est admis au salon et à la table, avec le critique qui
régente, le littérateur qui explique, le savant qui vulgarise
monotones motifs des bergeries et des pastorales. Accueil-
lant, généreux, jouisseur, adoré des hommes et des femmes,
échangeant sans cesse avec son siècle ce qu'il leur faut à
tous les deux pour aimer et être aimés, il se tient avec la
maîtresse du Roi au centre de son cercle tournoyant d'amours
ailés et de fleurs tressés en guirlandes qu'il est tout à fait
libre, comme seuls le sont les artistes de race, d'essaimer et
d'accrocher partout où le veut la fantaisie alerte et spontanée
de son désir toujours d'accord avec les besoins qui le solli-
citent. Tout s'adapte sans effort aux formes de plus en plus
circulaires qu'imaginent l'architecte et l'ébéniste mondain,
pour obéir à la grâce flexible de ce monde où la conversation
philosophique et galante parcourt des lignes sinueuses et
fait des détours délicats. Les grasses et molles rondeurs
tournent avec les boiseries et les cadres, bergers joufflus,
bergères enrubannées, soubrettes que le peintre élève à la
dignité de déesses en les déshabillant, et leur chair poupine
et sanguine et leur sourire et leurs fossettes et la courbe élas-
tique et bientôt boursouflée de leur croupe et de leurs seins.
Les enfants potelés du sculpteur Bouchardon sont entraînés
dans la ronde. Fragonard est prévu, et Boucher, par son
savoureux maître Lemoyne, par Watteau, par le monde de
décorateurs et d'artisans qu'il inspire, lie tout le fragile décor
de l'aristocratie française au suprême enseignement de la
fête italienne que Tiepolo, en même temps que lui, déploie
sur le plafond des alcôves et des salons vénitiens. Presque
libérées de la forme, les harmonies aériennes parsèment,
avec le fard des joues et la poudre volante, des ciels légers
où le tourbillon des nuages s'efface peu à peu dans le rose et
l'argent diffus.
Par malheur, sa ligne entortillée et serpentine interdit au
décorateur de s'évader tout à fait dans l'espace et le ramène
toujours à la besogne de mondanité tyrannique pour laquelle
il est né. Il reste prisonnier du prince. Pour la première fois,
l'artiste est admis au salon et à la table, avec le critique qui
régente, le littérateur qui explique, le savant qui vulgarise