contorsionnées du cavalier Bernin, avec les batailles et les
paysages romantiques de Salvator Rosa, avec la peinture
canaille de l'escamoteur Luca Giordano, la vie facile et
louche de Naples envahissait la péninsule et mêlait son eau
trouble aux courants épuisés du nord. Elle avait contribué
au moins autant que les besoins de la propagande des Jésuites
à faire dévier l'âme tragique et passionnée de l'Italie vers
ce style baroque où la passion tournait à l'intrigue et la tra-
gédie au mélodrame. Non qu'il ait manqué d'éclat, ni d'abon-
dance. Il en eut trop. Quelque chose de l'exubérance hindoue
faisait se boursoufler les édifices, s'enfler les peintures et se
convulser les statues. Mais, en dedans, ce n'était pas la sève
brûlante de l'Inde. C'était un art chargé de vanité et qui
gonflait les formes du désir de séduire et d'étonner. Soumises
à des organisations politiques dévotes et corrompues, les
grandes villes italiennes avaient payé tribut à leurs richesses,
à partir du xvie siècle, en églises échevelées, dorées, aimables,
en palais ornés, comme elles, de décorations profuses. Sans
parler de Venise, où l'atmosphère sauve tout, cette passion
de bâtir et de paraître avait même donné à certaines d'entre
elles, à Gênes, à Bologne, surtout à Rome — Gênes est bien
insolente et Bologne bien prétentieuse, — un caractère de
puissance obstinée qui touche à une sorte de beauté. Avec
ses ruines mêlées de verdure, ses palais rouges qui ensan-
glantent les fontaines, ses énormes volumes d'eaux, Rome
obsède le souvenir d'une pesanteur monotone. Après deux
mille années elle est restée ce qu'elle était, l'endroit du
monde où la nature a consenti à revêtir avec le plus d'infa-
tigable indifférence, la forme de la volonté. D'ailleurs, à ce
moment, comme Venise et pour des raisons incertaines —
sans doute l'universalité de l'insurrection philosophique —,
elle soulève, dans un demi-réveil, sa carapace de pierre,
pour laisser passer entre ses décombres de belles villas prin-
cières entourées de parcs émouvants.
Rome est étrange. Laide, aussitôt qu'on l'analyse, elle
garde dans son ensemble une splendeur artificielle revêtue
de splendeur vivante par le peuple et les jardins. En Italie,
— 164 —
paysages romantiques de Salvator Rosa, avec la peinture
canaille de l'escamoteur Luca Giordano, la vie facile et
louche de Naples envahissait la péninsule et mêlait son eau
trouble aux courants épuisés du nord. Elle avait contribué
au moins autant que les besoins de la propagande des Jésuites
à faire dévier l'âme tragique et passionnée de l'Italie vers
ce style baroque où la passion tournait à l'intrigue et la tra-
gédie au mélodrame. Non qu'il ait manqué d'éclat, ni d'abon-
dance. Il en eut trop. Quelque chose de l'exubérance hindoue
faisait se boursoufler les édifices, s'enfler les peintures et se
convulser les statues. Mais, en dedans, ce n'était pas la sève
brûlante de l'Inde. C'était un art chargé de vanité et qui
gonflait les formes du désir de séduire et d'étonner. Soumises
à des organisations politiques dévotes et corrompues, les
grandes villes italiennes avaient payé tribut à leurs richesses,
à partir du xvie siècle, en églises échevelées, dorées, aimables,
en palais ornés, comme elles, de décorations profuses. Sans
parler de Venise, où l'atmosphère sauve tout, cette passion
de bâtir et de paraître avait même donné à certaines d'entre
elles, à Gênes, à Bologne, surtout à Rome — Gênes est bien
insolente et Bologne bien prétentieuse, — un caractère de
puissance obstinée qui touche à une sorte de beauté. Avec
ses ruines mêlées de verdure, ses palais rouges qui ensan-
glantent les fontaines, ses énormes volumes d'eaux, Rome
obsède le souvenir d'une pesanteur monotone. Après deux
mille années elle est restée ce qu'elle était, l'endroit du
monde où la nature a consenti à revêtir avec le plus d'infa-
tigable indifférence, la forme de la volonté. D'ailleurs, à ce
moment, comme Venise et pour des raisons incertaines —
sans doute l'universalité de l'insurrection philosophique —,
elle soulève, dans un demi-réveil, sa carapace de pierre,
pour laisser passer entre ses décombres de belles villas prin-
cières entourées de parcs émouvants.
Rome est étrange. Laide, aussitôt qu'on l'analyse, elle
garde dans son ensemble une splendeur artificielle revêtue
de splendeur vivante par le peuple et les jardins. En Italie,
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