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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 16.1864

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Nr. 2
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Blanc, Charles: Eugène Delacroix, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.18739#0107

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

gros du public, il ne comprenait rien aux ouvrages d’Eugène Delacroix, et,
voyant l’Académie lui fermer ses portes à double verrou, il se croyait
parfaitement justifié dans ses répugnances. Que si l’administration eût
été hostile à Delacroix autant que l’étaient la bourgeoisie et l’Institut, le
peintre serait certainement mort de faim, car il ne vendait pas aux mar-
chands ou aux amateurs pour cinq cents francs de peinture par an. Son
atelier était encombré de ses ouvrages, toutes ses toiles lui revenant du
Salon pour être accrochées l’une sur l’autre, ou tristement retournées
contre le mur.

Heureusement que la direction des Beaux Arts vint au secours
de l’artiste. Elle comprit que la véritable grandeur de son talent était
la décoration des murailles, la conception des ensembles. Elle y fut du
reste sollicitée par des journaux qui avaient l’oreille du ministre. « Nous
comprenons dans M. Delacroix un temps d’arrêt, un moment d’hésitation,
disait Charles Lenormant *, mais si le découragement se glissait dans une
âme qui a de si justes motifs de se confier en elle-même, le gouverne-
ment serait bien coupable s’il ne poursuivait M. Delacroix dans sa
retraite, s’il ne l’obligeait, par l’attrait d’un grand et beau travail, à
sortir de l’inaction. J’ai la confiance que le gouvernement ne restera
pas longtemps sous le coup d’un pareil reproche. N’allez pas croire
toutefois que j’éprouve le moindre embarras à parler de ce que M. Dela-
croix a exposé; à dire que Charles-Quint moine de Saint Just, dont si
peu de gens paraissent se soucier, me semble, à moi, une des choses
dont je me souvienne, les mieux composées, les plus attrayantes
d’expression, les plus sensibles de peinture; à mettre en lumière ce joli
portrait d’un écolier de douze ans, si vrai d’intention, si étourdi, modelé
avec si peu et si juste, aussi fin de trait, surtout dans la bouche, que
quoi que ce soit au monde ; à déclarer enfin que, toujours dans mon opi-
nion, les croquis que M. Delacroix a rapportés de son voyage d’Afrique
décèleraient un maître d’un ordre peu commun, quand bien même nous
n’aurions pas pardevers nous d’autres raisons de l’admirer. Sans doute,
il me semble que j’ai un grand procès à instruire contre ce peintre; mais
c’est un de ces procès comme, au besoin, je voudrais en intenter à
Rubens, à Rembrandt, à Reynolds, je dirai presque à Michel-Ange. Je
citerais l’art qui veut refaire la nature au tribunal de l’art qui la suit
fidèlement; je réserverais dans l’un comme dans l’autre domaine cette
part qui est le produit immédiat du génie et qui ne s’explique pas plus
que le génie, et je pense qu’alors j’aurais en moi des raisons solides de 1

1. Les Artistes contemporains, Salons de 1831 et de -1833.
 
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