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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 16.1864

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Nr. 2
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Goncourt, Edmond de; Goncourt, Jules de: Chardin, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18739#0154

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CHARDIN.

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humble monde dont il est, et où sont ses habitudes, ses pensées, ses
affections, ses entrailles. Il ne cherche point au delà de lui-même, ni
plus haut que son regard : il s’en tient au spectacle et à la représentation
des scènes qui l’avoisinent et le touchent. L’accessoire même chez lui est
pour ainsi dire de sa familiarité et de son intimité : il mettra dans ses
tableaux sa fontaine, son doguin, les êtres et les choses accoutumées de
son intérieur personnel. Il peindra de même les personnages à sa main,
les visages d’habitude journalière, non point les types de cette bourgeoi-
sie déjà ambitieuse et si loin du peuple qui commence à prendre au
xvme siècle l’orgueil, l’apparat, le luxe, l’air de fortune d’une noblesse
en sous-ordre, mais les simples et pures figures de la bourgeoisie
de peine et de travail, heureuse dans sa paix, son labeur et son obscu-
rité. Le génie du peintre sera le génie du foyer.

Peinte de si près, et par un homme ayant son âme, cette petite
bourgeoisie du temps, la forte mère du tiers état, est là vraiment
vivante, immortelle, dans ces toiles, dans ces planches de Chardin. Qu’on
feuillette les livres, les histoires de la vie privée, qu’on aille, pour con-
naître les mœurs bourgeoises du temps, des nouvelles de Challes aux
romans de Rétif, et de ceux-ci aux Mémoires de madame Roland, on
n’aura point cette lumière que donne un seul tableau du peintre.
Ou ne verra point si bien la bourgeoisie que dans ce fidèle et sincère
miroir vers lequel accourait la Parisienne du temps pour se regarder, et
dans lequel elle était tout étonnée de se reconnaître, des pieds à la tête,
et de la robe jusqu’au cœur. « Il ne vient pas là une femme du tiers
état, — dit une curieuse brochure du temps en parlant des tableaux de
Chardin, — qui ne croie que c’est une idée de sa figure, qui n’y voie
son train domestique, ses manières rondes, sa contenance, ses occupa-
tions journalières, sa morale, l’humeur de ses enfants, son ameublement,
sa garde-robe1. »

Et comment la femme du tiers état ne se fût-elle pas reconnue
dans ces tableaux tout pleins d’elle? Ses manches relevées à la sai-
gnée du bras, son tablier à bavette, sa guimpe, sa croix à la Jean-
nette, sa jupe de calmande rayée, le peintre n’oublie rien de son
costume. 11 l’habille de ses habits, de ses couleurs; il la montre dans sa
tenue austère, presque évangélique; selon le mot d’une femme du temps.
Il la fait se mouvoir dans le décor et les actes de sa vie ordinaire et quo-
tidienne. Il la représente dans le travail domestique, dans ces occupa-

\. Lettre à M. de Poiresson-Chamarande, lieutenant général, au sujet des
tableaux exposés au salon du Louvre, 1741.

XVI.

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