CHARDIN.
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aimer. Les deux jeunes gens furent accordés; mais les parents delà
jeune fille demandant que la position du jeune homme fût plus assurée,
le mariage fut retardé de plusieurs années au bout desquelles Marguerite
Saintar, l’accordée de Chardin, se trouva ruinée et dans une position
touchant à la misère. Le père de Chardin voulut alors rompre le mariage ;
mais le fils tint bon avec une droiture généreuse, et ne voulut ni man-
quer à ses engagements ni tromper l’inclination que la pauvre jeune fille
avait prise pour lui1. Des traits agréables, dit le Nécrologe; mais faible,
languissante, valétudinaire, la pauvre femme mourut de la poitrine,
quatre ans après son mariage, en laissant un fils à Chardin2.
11 y eut bien du malaise, bien de la gêne dans ce premier mariage de
Chardin. La femme était malade, les gains du mari demeuraient minimes
et incertains. Toute sa jeunesse, le peintre la passa assez durement, sans
trouver un grand soulagement des difficultés de sa vie dans un commence-
ment de célébrité, et dans la célébrité même. Car ses tableaux, si. appréciés
des amateurs du temps, si goûtés de la critique qui les déclare dignes
du voisinage des meilleurs maîtres flamands, ne se vendent guère comme
ceux-ci. Livrés aux enchères, au feu des ventes les plus en renom, ils
n’atteignent que des prix bien médiocres. A la vente du chevalier de
Laroque, en 17/i5, la Fontaine et la Blanchisseuse n’allaient qu’à
182 livres. L’Ouvrière en tapisserie et son pendant le Dessinateur étaient
donnés pour 100 livres; le jeune Ecolier au toton, pour 25 livres. Ces
prix devaient faire la base des marchés du peintre avec les amateurs et
les marchands; et l’on peut calculer le peu d’argent qui devait entrer
dans la bourse du peintre avant cela, alors que le nom de Chardin
n’était pas encore une valeur ayant eu cours dans les ventes. Jamais du
reste, même en ses dernières années, Chardin ne semble avoir tiré de sa
peinture de quoi vivre. Les prix de ses tableaux restent toute sa vie
presque aussi bas et aussi misérables. En 1757, vingt ans après sa pre-
mière exposition, à la vente Heinecken, VAveugle ne montait qu’à 96 livres.
En 1761, à la vente du comte de Vence, /’Encreuse et le Garçon cabareticr
étaient payés 550 livres; en 1769, à la vente La Live de Jully, la Mère
faisant réciter V évangile à sa fille et Y Ecolier dessinant d’après la bosse
allaient à 720 livres; et en 1770, à la vente Fortier, le Bénédicité se ven-
'I. Mémoires de la vie des académiciens, vol. II.
2. « Le quinze avril 1735 a été fait le convoy et enterrement de Marguerite Sainc-
tard, femme de Jean-Siméon Chardin, peintre ordinaire du rov, morte hier en sa mai-
son, rue Princesse, âgée d’environ vingt-six ans, et y ont assisté Claude Sainctard,
oncle, Juste Chardin, beau-frère, Noël-Sébastien Chardin, aussi beau-frère de la ditte
défunte, qui ont signé. »
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aimer. Les deux jeunes gens furent accordés; mais les parents delà
jeune fille demandant que la position du jeune homme fût plus assurée,
le mariage fut retardé de plusieurs années au bout desquelles Marguerite
Saintar, l’accordée de Chardin, se trouva ruinée et dans une position
touchant à la misère. Le père de Chardin voulut alors rompre le mariage ;
mais le fils tint bon avec une droiture généreuse, et ne voulut ni man-
quer à ses engagements ni tromper l’inclination que la pauvre jeune fille
avait prise pour lui1. Des traits agréables, dit le Nécrologe; mais faible,
languissante, valétudinaire, la pauvre femme mourut de la poitrine,
quatre ans après son mariage, en laissant un fils à Chardin2.
11 y eut bien du malaise, bien de la gêne dans ce premier mariage de
Chardin. La femme était malade, les gains du mari demeuraient minimes
et incertains. Toute sa jeunesse, le peintre la passa assez durement, sans
trouver un grand soulagement des difficultés de sa vie dans un commence-
ment de célébrité, et dans la célébrité même. Car ses tableaux, si. appréciés
des amateurs du temps, si goûtés de la critique qui les déclare dignes
du voisinage des meilleurs maîtres flamands, ne se vendent guère comme
ceux-ci. Livrés aux enchères, au feu des ventes les plus en renom, ils
n’atteignent que des prix bien médiocres. A la vente du chevalier de
Laroque, en 17/i5, la Fontaine et la Blanchisseuse n’allaient qu’à
182 livres. L’Ouvrière en tapisserie et son pendant le Dessinateur étaient
donnés pour 100 livres; le jeune Ecolier au toton, pour 25 livres. Ces
prix devaient faire la base des marchés du peintre avec les amateurs et
les marchands; et l’on peut calculer le peu d’argent qui devait entrer
dans la bourse du peintre avant cela, alors que le nom de Chardin
n’était pas encore une valeur ayant eu cours dans les ventes. Jamais du
reste, même en ses dernières années, Chardin ne semble avoir tiré de sa
peinture de quoi vivre. Les prix de ses tableaux restent toute sa vie
presque aussi bas et aussi misérables. En 1757, vingt ans après sa pre-
mière exposition, à la vente Heinecken, VAveugle ne montait qu’à 96 livres.
En 1761, à la vente du comte de Vence, /’Encreuse et le Garçon cabareticr
étaient payés 550 livres; en 1769, à la vente La Live de Jully, la Mère
faisant réciter V évangile à sa fille et Y Ecolier dessinant d’après la bosse
allaient à 720 livres; et en 1770, à la vente Fortier, le Bénédicité se ven-
'I. Mémoires de la vie des académiciens, vol. II.
2. « Le quinze avril 1735 a été fait le convoy et enterrement de Marguerite Sainc-
tard, femme de Jean-Siméon Chardin, peintre ordinaire du rov, morte hier en sa mai-
son, rue Princesse, âgée d’environ vingt-six ans, et y ont assisté Claude Sainctard,
oncle, Juste Chardin, beau-frère, Noël-Sébastien Chardin, aussi beau-frère de la ditte
défunte, qui ont signé. »
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