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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
archevêque revêtu de ses habits pontificaux. Toute cette partie du tableau
est faite avec soin, d’une exécution qui est serrée quoiqu’elle paraisse
libre, et quelques têtes en sont admirables, entre autres celle du prélat
et celle du peintre.
La mode! elle n’a pas tout aboli, Dieu en soit loué! Elle a respecté,
entre autres œuvres, celles deBonnington qui fut, parmi nous, un des ini-
tiateurs du romantisme et qui fit l’admiration d’Eugène Delacroix. C’est
dans la galerie Delessert que se trouve le fameux petit tableau représen-
tant Marguerite de Navarre et François Ier, lorsque le roi montre à sa sœur
ces vers écrits sur une vitre :
Souvent femme varie,
Bien fol est qui s’y fie.
Tout le romantisme contemporain est renfermé dans ce tableau de
Bonnington ; la couleur en est pétrie sur les palettes de Titien et de Véro-
nèse; la lumière y est comprimée et mystérieuse comme celle de Rem-
brandt. Les figures ont une désinvolture aimable et une suprême distinc-
tion. C’est un bijou qui n’a rien perdu de son prix, et dont le temps a, au
contraire, doublé la valeur.
11 va sans dire que nous n’avons pas à refaire ici le catalogue de la
galerie Delessert, et que nous avons dû seulement toucher un mot des
principales peintures qui la composent, ou au moins de celles qui nous
ont le plus frappé. Cependant, nous ne finirons point cette rapide revue
sans revenir sur ce que nous avions affirmé en commençant, à savoir que
la galerie Delessert ne contenait qu’un seul échantillon de l’école ita-
lienne, un Raphaël. Deux Vierges de Sasso Ferrato et deux Vues de Venise
par Canaletti valent bien qu’on en parle. Sasso Ferrato n’a fait que des
Vierges d’oratoire. Son type est celui d’une fille du peuple, simple et pure,
délicate de sentiments, robuste de formes. Soit que la Madone tienne
l’Enfant souriant dans ses bras ou endormi sur ses genoux, soit qu’elle
joigne ses mains pour la prière, Sasso Ferrato lui jette sur la tête un voile
blanc et sur les épaules un manteau bleu. Si la robe se voit, elle est
rouge, mais souvent elle est cachée par le cadre qui coupe la figure un
peu au-dessus du Sein; ce rouge, d’ailleurs, et ce bleu sont un peu durs,
comme si le peintre eût voulu laisser à chaque ton son intensité, sa vir-
ginité. Sasso Ferrato est partout le peintre des dévots; à Rome, c’est le
Raphaël des Transtévérins.
Pour ce qui est des Canaletti, on n’en peut guère rencontrer de plus
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
archevêque revêtu de ses habits pontificaux. Toute cette partie du tableau
est faite avec soin, d’une exécution qui est serrée quoiqu’elle paraisse
libre, et quelques têtes en sont admirables, entre autres celle du prélat
et celle du peintre.
La mode! elle n’a pas tout aboli, Dieu en soit loué! Elle a respecté,
entre autres œuvres, celles deBonnington qui fut, parmi nous, un des ini-
tiateurs du romantisme et qui fit l’admiration d’Eugène Delacroix. C’est
dans la galerie Delessert que se trouve le fameux petit tableau représen-
tant Marguerite de Navarre et François Ier, lorsque le roi montre à sa sœur
ces vers écrits sur une vitre :
Souvent femme varie,
Bien fol est qui s’y fie.
Tout le romantisme contemporain est renfermé dans ce tableau de
Bonnington ; la couleur en est pétrie sur les palettes de Titien et de Véro-
nèse; la lumière y est comprimée et mystérieuse comme celle de Rem-
brandt. Les figures ont une désinvolture aimable et une suprême distinc-
tion. C’est un bijou qui n’a rien perdu de son prix, et dont le temps a, au
contraire, doublé la valeur.
11 va sans dire que nous n’avons pas à refaire ici le catalogue de la
galerie Delessert, et que nous avons dû seulement toucher un mot des
principales peintures qui la composent, ou au moins de celles qui nous
ont le plus frappé. Cependant, nous ne finirons point cette rapide revue
sans revenir sur ce que nous avions affirmé en commençant, à savoir que
la galerie Delessert ne contenait qu’un seul échantillon de l’école ita-
lienne, un Raphaël. Deux Vierges de Sasso Ferrato et deux Vues de Venise
par Canaletti valent bien qu’on en parle. Sasso Ferrato n’a fait que des
Vierges d’oratoire. Son type est celui d’une fille du peuple, simple et pure,
délicate de sentiments, robuste de formes. Soit que la Madone tienne
l’Enfant souriant dans ses bras ou endormi sur ses genoux, soit qu’elle
joigne ses mains pour la prière, Sasso Ferrato lui jette sur la tête un voile
blanc et sur les épaules un manteau bleu. Si la robe se voit, elle est
rouge, mais souvent elle est cachée par le cadre qui coupe la figure un
peu au-dessus du Sein; ce rouge, d’ailleurs, et ce bleu sont un peu durs,
comme si le peintre eût voulu laisser à chaque ton son intensité, sa vir-
ginité. Sasso Ferrato est partout le peintre des dévots; à Rome, c’est le
Raphaël des Transtévérins.
Pour ce qui est des Canaletti, on n’en peut guère rencontrer de plus