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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
maîtres italiens. Leurs tableaux font clans la Tribune la même impression
que T architecture ogivale dans la cathédrale de Milan. Sous le ciel de
l’Italie, le style gothique a quelque chose de singulier et de mal venu.
Passe encore pour Rubens quand il est représenté par un morceau de sa
plus belle veine et même pour Yan Dyck, si l’on avait de lui un portrait
comme celui de Charles 1er ; mais les peintures de Lucas de Leyde et
d’Albert Durer, en dépit de leur rare mérite, détonent à côté des Titien,
des Léonard, des Raphaël et des Michel-Ange.
Michel-Ange! c’est un de ces noms qui couvrent de leur gloire tout
ce qui les porte, et personne assurément ne sera surpris de voir dans la
Tribune la Sainte Famille peinte par l’un des deux plus grands maîtres de
Florence et de l’Italie. Alors même que ce tableau ne serait pas jugé le
meilleur ouvrage qui soit sorti d’une telle main, il serait au premier
rang de ceux qu’il faut placer ici, non seulement parce que c’est
un des très rares morceaux que Michel-Ange a peints autrement qu’à
fresque et ailleurs que sur un mur, mais parce qu’il s’y trouve quelques
figures nues, d’un dessin superbe et d’une auguste désinvolture, que per-
sonne avant lui n’avait su faire et que personne n’a su faire après lui.
Ce sont des figures de jeunes dieux qui ont l’air d’être descendus de
l’Olympe pour voir jouer dans les bras de sa mère le dieu nouveau.
A côté de cette étrange composition, il était naturel que les anciens di-
recteurs de la Galerie fissent placer la fameuse Vierge d’André del Sarte
et le Prophète Isaïe de Fra Bartolonnneo, mais peut-être auraient-ils dû
s’abstenir d’y mettre le Prophète Job du même artiste, car ce qui n’est
que bon est inutile là où on peut avoir l’excellent. L’excellent, disons-
nous, c’est à quoi il faut tendre, c’est ce qu’il faut montrer aux hommes
dont on veut faire l’éducation; et comme il est impossible que les
ouvrages exquis ne soient pas aussi des ouvrages rares, il importerait que,
dans tous les musées de l’Europe, il fût ménagé un Salon privilégié où
l’on n’admettrait que des chefs-d’œuvre, de manière que l’on pût dire,
dès l’entrée, au visiteur qui veut former son goût : « Soyez certain de ne
rien voir ici qui ne soit digne de votre admiration. » C’est ce que l’on
a fait au Louvre, dans le Salon carré, qui est malheureusement un peu
trop vaste pour ne contenir que des merveilles. Ainsi épurée par l’élimi-
nation des peintures de troisième ordre qui la déparent, la Tribune de
Florence deviendrait un véritable sanctuaire; elle serait ce que fut jadis,
dans les temps grecs, l’opisthodome, le trésor.
CHARLES BLANC.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
maîtres italiens. Leurs tableaux font clans la Tribune la même impression
que T architecture ogivale dans la cathédrale de Milan. Sous le ciel de
l’Italie, le style gothique a quelque chose de singulier et de mal venu.
Passe encore pour Rubens quand il est représenté par un morceau de sa
plus belle veine et même pour Yan Dyck, si l’on avait de lui un portrait
comme celui de Charles 1er ; mais les peintures de Lucas de Leyde et
d’Albert Durer, en dépit de leur rare mérite, détonent à côté des Titien,
des Léonard, des Raphaël et des Michel-Ange.
Michel-Ange! c’est un de ces noms qui couvrent de leur gloire tout
ce qui les porte, et personne assurément ne sera surpris de voir dans la
Tribune la Sainte Famille peinte par l’un des deux plus grands maîtres de
Florence et de l’Italie. Alors même que ce tableau ne serait pas jugé le
meilleur ouvrage qui soit sorti d’une telle main, il serait au premier
rang de ceux qu’il faut placer ici, non seulement parce que c’est
un des très rares morceaux que Michel-Ange a peints autrement qu’à
fresque et ailleurs que sur un mur, mais parce qu’il s’y trouve quelques
figures nues, d’un dessin superbe et d’une auguste désinvolture, que per-
sonne avant lui n’avait su faire et que personne n’a su faire après lui.
Ce sont des figures de jeunes dieux qui ont l’air d’être descendus de
l’Olympe pour voir jouer dans les bras de sa mère le dieu nouveau.
A côté de cette étrange composition, il était naturel que les anciens di-
recteurs de la Galerie fissent placer la fameuse Vierge d’André del Sarte
et le Prophète Isaïe de Fra Bartolonnneo, mais peut-être auraient-ils dû
s’abstenir d’y mettre le Prophète Job du même artiste, car ce qui n’est
que bon est inutile là où on peut avoir l’excellent. L’excellent, disons-
nous, c’est à quoi il faut tendre, c’est ce qu’il faut montrer aux hommes
dont on veut faire l’éducation; et comme il est impossible que les
ouvrages exquis ne soient pas aussi des ouvrages rares, il importerait que,
dans tous les musées de l’Europe, il fût ménagé un Salon privilégié où
l’on n’admettrait que des chefs-d’œuvre, de manière que l’on pût dire,
dès l’entrée, au visiteur qui veut former son goût : « Soyez certain de ne
rien voir ici qui ne soit digne de votre admiration. » C’est ce que l’on
a fait au Louvre, dans le Salon carré, qui est malheureusement un peu
trop vaste pour ne contenir que des merveilles. Ainsi épurée par l’élimi-
nation des peintures de troisième ordre qui la déparent, la Tribune de
Florence deviendrait un véritable sanctuaire; elle serait ce que fut jadis,
dans les temps grecs, l’opisthodome, le trésor.
CHARLES BLANC.