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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sée est ingénieuse, et on doit avoir grande confiance dans la nouvelle
institution; en attendant, le régime actuel subsiste, et il sera appliqué
pendant des périodes de deux années. J’en demande bien pardon à
M. Bardoux, mais je crois qu’aux artistes surtout est nuisible ce qu’il
appelle leur exposition : aux bons qui se trouvent dans de fâcheux voisi-
nages, car les tableaux ne ressemblent pas aux femmes, dont la beauté
brille d’autant plus qu’elle est entourée de laideur; aux mauvais, parce
qu’ils conçoivent des illusions qu’entretient le jury. Du moment où
l’admission après jugement est obligatoire, elle devient un titre. Figu-
rer au livret est le commencement de la gloire. Combien de jeunes
gens courent la chance d’être reçus comme on prend un billet à la lote-
rie, et invoquent l’aveuglement des jurés avec plus de chances de suc-
cès que s’ils comptaient sur la clairvoyance de la fortune ! Quel meil-
leur remède pourrait-on apporter à l’encombrement des toiles et à l’in-
fluence fâcheuse du jury que d’admettre, comme on l’avait fait en I8/18,
tous les envois et de nommer une commission de classement, qui serait
chargée de placer les meilleures toiles dans un certain nombre de salles
restreint, quatre ou cinq par exemple! On y grouperait les grands
dignitaires de la peinture, les décorés de tout ordre, les médaillés de
toute classe, les jeunes qui promettent et qui tiennent, enfin tous les
candidats à l’exposition triennale. Le public, s’il est pressé, se conten-
terait de visiter les salles des élus; s’il est curieux, il irait, parmi les
appelés, chercher des chefs-d’œuvre inconnus. On peut à un pareil
système faire des objections; mais qu’est-ce qui est parfait en ce
monde? les systèmes pas plus que les personnes. Nous allons, la plume
à la main, réaliser notre projet et faire, dans notre modeste sphère de
critique, la besogne de la commission de classement. Nous allons tâcher
de composer ces salles privilégiées, cherchant le talent, qu’il se cache
ou qu’il se montre, nous efforçant de découvrir quelques parcelles d’or
au milieu de ces amas que le hasard plutôt que le choix paraît avoir
accumulés dans le Palais de l’Industrie.
I.
Le tableau que nous accrocherons à la première place en l’honneur
du modèle d’abord et du peintre ensuite, c’est le portrait de Victor
Hugo, par M. Donnât, qui continue sa galerie de grands hommes. Après
Thiers, après M. de Lesseps, voilà le plus grand poète du xixe siècle
peint pour la postérité. Victor Hugo est assis; le bras gauche, appuyé
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sée est ingénieuse, et on doit avoir grande confiance dans la nouvelle
institution; en attendant, le régime actuel subsiste, et il sera appliqué
pendant des périodes de deux années. J’en demande bien pardon à
M. Bardoux, mais je crois qu’aux artistes surtout est nuisible ce qu’il
appelle leur exposition : aux bons qui se trouvent dans de fâcheux voisi-
nages, car les tableaux ne ressemblent pas aux femmes, dont la beauté
brille d’autant plus qu’elle est entourée de laideur; aux mauvais, parce
qu’ils conçoivent des illusions qu’entretient le jury. Du moment où
l’admission après jugement est obligatoire, elle devient un titre. Figu-
rer au livret est le commencement de la gloire. Combien de jeunes
gens courent la chance d’être reçus comme on prend un billet à la lote-
rie, et invoquent l’aveuglement des jurés avec plus de chances de suc-
cès que s’ils comptaient sur la clairvoyance de la fortune ! Quel meil-
leur remède pourrait-on apporter à l’encombrement des toiles et à l’in-
fluence fâcheuse du jury que d’admettre, comme on l’avait fait en I8/18,
tous les envois et de nommer une commission de classement, qui serait
chargée de placer les meilleures toiles dans un certain nombre de salles
restreint, quatre ou cinq par exemple! On y grouperait les grands
dignitaires de la peinture, les décorés de tout ordre, les médaillés de
toute classe, les jeunes qui promettent et qui tiennent, enfin tous les
candidats à l’exposition triennale. Le public, s’il est pressé, se conten-
terait de visiter les salles des élus; s’il est curieux, il irait, parmi les
appelés, chercher des chefs-d’œuvre inconnus. On peut à un pareil
système faire des objections; mais qu’est-ce qui est parfait en ce
monde? les systèmes pas plus que les personnes. Nous allons, la plume
à la main, réaliser notre projet et faire, dans notre modeste sphère de
critique, la besogne de la commission de classement. Nous allons tâcher
de composer ces salles privilégiées, cherchant le talent, qu’il se cache
ou qu’il se montre, nous efforçant de découvrir quelques parcelles d’or
au milieu de ces amas que le hasard plutôt que le choix paraît avoir
accumulés dans le Palais de l’Industrie.
I.
Le tableau que nous accrocherons à la première place en l’honneur
du modèle d’abord et du peintre ensuite, c’est le portrait de Victor
Hugo, par M. Donnât, qui continue sa galerie de grands hommes. Après
Thiers, après M. de Lesseps, voilà le plus grand poète du xixe siècle
peint pour la postérité. Victor Hugo est assis; le bras gauche, appuyé