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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
cela est bien loin. L’œuvre est là, triomphante, « chef-d’œuvre indus-
triel de ce siècle de fer ». Sa silhouette aérienne domine Paris sans
l’écraser; on la voit de partout, variant d’aspect avec les éclairages
et les heures du jour, tantôt légère, grise et estompée, comme un
phare noyé dans la brume, ou mâle et rude quand souffle le vent et
que son sommet plonge dans la nuée, tantôt empourprée par les
rayons du soleil couchant, ou rose et transparente sous les caresses
matinales de l’aube.
Le spectacle qui se déroule entre les jambes de la Tour tient les pro-
messes du frontispice. Il est d’une originalité extrême et surtout
exprime par sa physionomie extérieure, par sa distribution, une
pensée, un programme facilement intelligible. Le plan est connu,
c’est un parallélogramme allongé. Un des côtés est occupé par la Tour
Eiffel, les deux faces latérales par le Palais des Arts de M. Formigé,
et le fond par le Palais des Industries diverses de M. Bouvard. Cette
disposition magistrale, œuvre personnelle de M. Alphand, agrandit
le champ optique et recule de la façon la plus heureuse les pers-
pectives. Le milieu du fer à cheval est occupé par un vaste jardin
planté d’arbres, par une fontaine monumentale, invention décorative
et ingénieuse de M. Coutan, et un bassin de cent vingt mètres de long,
dont les mille gerbes seront éclairées le soir à la lumière électrique.
Je le répète, la note dominante de cet ensemble mouvementé et
grandiose, c’est le coloris, un coloris ravissant, aquarellé de tons
frais et délicats. Les deux ailes du Palais des Arts en forment le lien
harmonique. Toute cette partie de l’Exposition est de la plus rare
distinction. Le talent de M. Formigé, qui est un des jeunes architectes
du service des Monuments historiques, s’y est révélé hors de pair. Il
a une qualité maîtresse, le goût ; il en a une autre, l’indépendance
des doctrines. Bien que le Palais des Arts appartienne par le style
de sa décoration à la Renaissance française, on y sent la main d’un
homme qui a été nourri de la saine logique de nos grands maîtres du
Moyen âge. Aucune raideur, aucun parti pris dans les motifs. Le
dispositif, avec ses promenoirs spacieux, dont nous reproduisons en
tête de page une des travées, ses façades largement ouvertes, ses
pylônes, ses gracieuses coupoles revêtues de terre émaillée, est d’une
élégance charmante. La décoration est souple, vivante. La pierre a
été proscrite de cette construction ; tout y est en fer ou en terre-cuite.
Toutes les fonctions, supports ou remplissages, s’accusent avec net-
teté. Le ton du fer est une vraie trouvaille : c’est un bleu persan qui
joue avec le rose des terres-cuites dans d’exquises harmonies et vibre
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
cela est bien loin. L’œuvre est là, triomphante, « chef-d’œuvre indus-
triel de ce siècle de fer ». Sa silhouette aérienne domine Paris sans
l’écraser; on la voit de partout, variant d’aspect avec les éclairages
et les heures du jour, tantôt légère, grise et estompée, comme un
phare noyé dans la brume, ou mâle et rude quand souffle le vent et
que son sommet plonge dans la nuée, tantôt empourprée par les
rayons du soleil couchant, ou rose et transparente sous les caresses
matinales de l’aube.
Le spectacle qui se déroule entre les jambes de la Tour tient les pro-
messes du frontispice. Il est d’une originalité extrême et surtout
exprime par sa physionomie extérieure, par sa distribution, une
pensée, un programme facilement intelligible. Le plan est connu,
c’est un parallélogramme allongé. Un des côtés est occupé par la Tour
Eiffel, les deux faces latérales par le Palais des Arts de M. Formigé,
et le fond par le Palais des Industries diverses de M. Bouvard. Cette
disposition magistrale, œuvre personnelle de M. Alphand, agrandit
le champ optique et recule de la façon la plus heureuse les pers-
pectives. Le milieu du fer à cheval est occupé par un vaste jardin
planté d’arbres, par une fontaine monumentale, invention décorative
et ingénieuse de M. Coutan, et un bassin de cent vingt mètres de long,
dont les mille gerbes seront éclairées le soir à la lumière électrique.
Je le répète, la note dominante de cet ensemble mouvementé et
grandiose, c’est le coloris, un coloris ravissant, aquarellé de tons
frais et délicats. Les deux ailes du Palais des Arts en forment le lien
harmonique. Toute cette partie de l’Exposition est de la plus rare
distinction. Le talent de M. Formigé, qui est un des jeunes architectes
du service des Monuments historiques, s’y est révélé hors de pair. Il
a une qualité maîtresse, le goût ; il en a une autre, l’indépendance
des doctrines. Bien que le Palais des Arts appartienne par le style
de sa décoration à la Renaissance française, on y sent la main d’un
homme qui a été nourri de la saine logique de nos grands maîtres du
Moyen âge. Aucune raideur, aucun parti pris dans les motifs. Le
dispositif, avec ses promenoirs spacieux, dont nous reproduisons en
tête de page une des travées, ses façades largement ouvertes, ses
pylônes, ses gracieuses coupoles revêtues de terre émaillée, est d’une
élégance charmante. La décoration est souple, vivante. La pierre a
été proscrite de cette construction ; tout y est en fer ou en terre-cuite.
Toutes les fonctions, supports ou remplissages, s’accusent avec net-
teté. Le ton du fer est une vraie trouvaille : c’est un bleu persan qui
joue avec le rose des terres-cuites dans d’exquises harmonies et vibre