LE GRAND SAINT MICHEL DE RAPHAËL.
395
III.
LE GRAND SAINT MICHEL.
Nous voici au moment où la Renaissance italienne va dire à Rome
presque son dernier mot. Léon X, qui entend au dehors gronder
l’invasion, s’est mis sur les bras, dans son propre domaine, une
méchante affaire. Ne pouvant tailler des principautés pour sa propre
famille dans le royaume de Naples que se disputaient le roi de France
et le roi d’Espagne, il a dépouillé François-Marie délia Rovere du
duché d’Urbin et en a donné l’investiture à son neveu Laurent de
Médicis. Mais, pour s’enrichir, il ne suffit pas — fût-on pape — de
prendre le bien d’autrui, il faut pouvoir le garder. Or, François-
Marie n’était pas homme à se laisser faire, et il a reconquis son
domaine. Pour l’en déposséder à nouveau, il fallait l’appui du roi de
France, et il s’est agi de le gagner à une détestable cause. Laurent
de Médicis s’est alors rendu lui-même auprès de François Ier, et,
comme arguments suprêmes, il lui a offert deux tableaux de Raphaël :
le Grand saint Michel et la Grande sainte Famille L Ces tableaux sont
signés et datés de 15182. Ils étaient l’un et l’autre munis de deux
volets doublés de velours vert à l’intérieur et peints extérieurement
d’arabesques rehaussés d’or3 4. Goro Gheri et Baldassare Turini,
chargés de les expédier en France, allaient les envoyer par mer jus-
qu’en Provence (c’était le moyen de transport le plus commode et le
moins coûteux), quand Léon X intervint et ordonna de les faire
voyager par voie de terre. Le pape avait présent à la mémoire le
récent naufrage du Spasimo1 et ne voulait pas exposer ces nouveaux
1. Le Grand saint Michel, auquel Raphaël travaillait déjà le 28 mars 1517,
était terminé le 27 mars 1518. Raphaël, ne pouvant tenir les promesses qu’il avait
faites au duc de Ferrare, lui envoya le carton de ce tableau. Il y joignit le por-
trait de Jeanne d’Aragon. Ces deux cartons sont perdus. — On lit, sur le bord du
vêtement de l’archange : iuphael vrbinas pingebat. m.d.x.viii.
2. Le portrait de Jeanne d’Aragon, sans avoir été joint à l’envoi de ces deux
tableaux, fut commandé aussi vers cette époque par Laurent de Médicis à l’inten-
tion de François Ier.
3. L'inventaire de Bailly (1709-1710) fait encore mention de ces volets, qui ont
disparu.
4. Ce tableau avait été peint, en 1517 aussi, pour le monastère de Santa Maria
dello Spasimo ou Spasmo, appartenant aux Olivétains de Païenne. Le vaisseau qui
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III.
LE GRAND SAINT MICHEL.
Nous voici au moment où la Renaissance italienne va dire à Rome
presque son dernier mot. Léon X, qui entend au dehors gronder
l’invasion, s’est mis sur les bras, dans son propre domaine, une
méchante affaire. Ne pouvant tailler des principautés pour sa propre
famille dans le royaume de Naples que se disputaient le roi de France
et le roi d’Espagne, il a dépouillé François-Marie délia Rovere du
duché d’Urbin et en a donné l’investiture à son neveu Laurent de
Médicis. Mais, pour s’enrichir, il ne suffit pas — fût-on pape — de
prendre le bien d’autrui, il faut pouvoir le garder. Or, François-
Marie n’était pas homme à se laisser faire, et il a reconquis son
domaine. Pour l’en déposséder à nouveau, il fallait l’appui du roi de
France, et il s’est agi de le gagner à une détestable cause. Laurent
de Médicis s’est alors rendu lui-même auprès de François Ier, et,
comme arguments suprêmes, il lui a offert deux tableaux de Raphaël :
le Grand saint Michel et la Grande sainte Famille L Ces tableaux sont
signés et datés de 15182. Ils étaient l’un et l’autre munis de deux
volets doublés de velours vert à l’intérieur et peints extérieurement
d’arabesques rehaussés d’or3 4. Goro Gheri et Baldassare Turini,
chargés de les expédier en France, allaient les envoyer par mer jus-
qu’en Provence (c’était le moyen de transport le plus commode et le
moins coûteux), quand Léon X intervint et ordonna de les faire
voyager par voie de terre. Le pape avait présent à la mémoire le
récent naufrage du Spasimo1 et ne voulait pas exposer ces nouveaux
1. Le Grand saint Michel, auquel Raphaël travaillait déjà le 28 mars 1517,
était terminé le 27 mars 1518. Raphaël, ne pouvant tenir les promesses qu’il avait
faites au duc de Ferrare, lui envoya le carton de ce tableau. Il y joignit le por-
trait de Jeanne d’Aragon. Ces deux cartons sont perdus. — On lit, sur le bord du
vêtement de l’archange : iuphael vrbinas pingebat. m.d.x.viii.
2. Le portrait de Jeanne d’Aragon, sans avoir été joint à l’envoi de ces deux
tableaux, fut commandé aussi vers cette époque par Laurent de Médicis à l’inten-
tion de François Ier.
3. L'inventaire de Bailly (1709-1710) fait encore mention de ces volets, qui ont
disparu.
4. Ce tableau avait été peint, en 1517 aussi, pour le monastère de Santa Maria
dello Spasimo ou Spasmo, appartenant aux Olivétains de Païenne. Le vaisseau qui