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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
où Léonard de Vinci modelait la première statue équestre qu’on eût
faite en Italie depuis l’antiquité, Ferrare consacrait un bronze
monumental à Borso. Admirateur de Léo Battista Alberti, Lionel
le chargeait d’écrire son traité De re ecUficatoria, et Llercule Ier
formait des collections de pierres gravées et de marbres antiques,
et pensionnait Cosirao Tura et Francesco Cossa, peintres de la vie
privée de ses prédécesseurs. Cette cour de Ferrare, au moment où
Isabelle y grandit sous les yeux de sa mère, Eléonore d’Aragon,
était l’une des plus avancées de l’Italie ; entre Modène et Ferrare,
plus de cent peintres, orfèvres et sculpteurs étaient inscrits à la
maîtrise; Alphonse, frère d'Isabelle, et époux de Lucrèce Borgia,
à côté de sa fonderie de canons, faisait installer des fours pour la
céramique et manipulait lui-même les majoliquesde Ferrare. Moins
délicat dans ses goûts que son père Hercule, qui avait fait retentir
les échos de son palais des accents tragiques des maîtres des théâtres
grec et latin, et demandé les décors au pinceau du Mantegna, Alphonse
devait délaisser Euripide, Plaute etTérence, et céder au mouvement
de son temps en substituant La Gassandra et la comédie licencieuse
aux Méneclimes; mais son théâtre resta en honneur, les poètes s’y
pressaient à l’envi, et l’Arioste et le Tasse devaient être bientôt la
gloire de cette cour.
Tel fut le milieu où naquit Isabelle d’Este, en 1474, et telles sont
ses origines; toutes ses attractions, tous ses intincts, tous les goûts
qui la distinguent, on les retrouve dans ses ancêtres: elle les
surpasse même par un extraordinaire enthousiasme pour la poésie et
pour les arts, par une curiosité insatiable et une sorte de fièvre à
rechercher et à posséder les œuvres des maîtres. La Cour de Mantoue
où elle allait entrer par son union avec Jean-François Gonzague,
quatrième marquis, était digne de la recevoir.
La jeune marquise n’avait pas seize ans le jour (15 février 1490)
où elle fit son entrée solennelle à Mantoue. Ce n’était pas la pre-
mière fois que la maison d’Este s’alliait aux Gonzague ; Nicolo, le
premier duc de Ferrare, et son fils Lionel avaient épousé deux prin-
cesses de cette maison, sans que des liens aussi étroits eussent pu
mettre fin à la rivalité des deux Etats. Selon les événements dont
l’Italie était alors le théâtre, l’instinct de la sécurité réciproque et
celui des intérêts rapprochaient ou éloignaient les souverains et
déterminaient les alliances; et Ferrare et Mantoue s’appuyaient
mutuellement pour résister soit à Venise, soit au Saint-Siège. Cette
fois, les Gonzague s’étaient avancés les premiers, et, dès 1480, alors
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
où Léonard de Vinci modelait la première statue équestre qu’on eût
faite en Italie depuis l’antiquité, Ferrare consacrait un bronze
monumental à Borso. Admirateur de Léo Battista Alberti, Lionel
le chargeait d’écrire son traité De re ecUficatoria, et Llercule Ier
formait des collections de pierres gravées et de marbres antiques,
et pensionnait Cosirao Tura et Francesco Cossa, peintres de la vie
privée de ses prédécesseurs. Cette cour de Ferrare, au moment où
Isabelle y grandit sous les yeux de sa mère, Eléonore d’Aragon,
était l’une des plus avancées de l’Italie ; entre Modène et Ferrare,
plus de cent peintres, orfèvres et sculpteurs étaient inscrits à la
maîtrise; Alphonse, frère d'Isabelle, et époux de Lucrèce Borgia,
à côté de sa fonderie de canons, faisait installer des fours pour la
céramique et manipulait lui-même les majoliquesde Ferrare. Moins
délicat dans ses goûts que son père Hercule, qui avait fait retentir
les échos de son palais des accents tragiques des maîtres des théâtres
grec et latin, et demandé les décors au pinceau du Mantegna, Alphonse
devait délaisser Euripide, Plaute etTérence, et céder au mouvement
de son temps en substituant La Gassandra et la comédie licencieuse
aux Méneclimes; mais son théâtre resta en honneur, les poètes s’y
pressaient à l’envi, et l’Arioste et le Tasse devaient être bientôt la
gloire de cette cour.
Tel fut le milieu où naquit Isabelle d’Este, en 1474, et telles sont
ses origines; toutes ses attractions, tous ses intincts, tous les goûts
qui la distinguent, on les retrouve dans ses ancêtres: elle les
surpasse même par un extraordinaire enthousiasme pour la poésie et
pour les arts, par une curiosité insatiable et une sorte de fièvre à
rechercher et à posséder les œuvres des maîtres. La Cour de Mantoue
où elle allait entrer par son union avec Jean-François Gonzague,
quatrième marquis, était digne de la recevoir.
La jeune marquise n’avait pas seize ans le jour (15 février 1490)
où elle fit son entrée solennelle à Mantoue. Ce n’était pas la pre-
mière fois que la maison d’Este s’alliait aux Gonzague ; Nicolo, le
premier duc de Ferrare, et son fils Lionel avaient épousé deux prin-
cesses de cette maison, sans que des liens aussi étroits eussent pu
mettre fin à la rivalité des deux Etats. Selon les événements dont
l’Italie était alors le théâtre, l’instinct de la sécurité réciproque et
celui des intérêts rapprochaient ou éloignaient les souverains et
déterminaient les alliances; et Ferrare et Mantoue s’appuyaient
mutuellement pour résister soit à Venise, soit au Saint-Siège. Cette
fois, les Gonzague s’étaient avancés les premiers, et, dès 1480, alors