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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 13.1895

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Nr. 2
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Lefort, Paul: Le Musée du Prado, [11], L'école espagnole, 3: les musées de Madrid
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https://doi.org/10.11588/diglit.24666#0138

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128

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

peindre tel tableau de sa manière la plus serrée et la plus forte,
alors que dans le même temps, et pour une même décoration, il en
traitera un autre à l’aide de sa facture la plus moelleuse et de sa
touche 1a. plus fondue, la plus imprécise. Nous trouvons au Musée
du Prado plusieurs spécimens, d’ailleurs très admirés, de cette
exécution, appelée vaporeuse, qui est loin d’être la meilleure. Ce
que le coloris y gagne en grâce, en souplesse, en magnificence,
le dessin le perd comme correction, comme solidité, comme fermeté
de contours et puissance de relief. C'est ce qu’on peut aisément
constater en étudiant les deux Conceptions, qui sont cataloguées sous
les nos 878 et 880, le tableau représentant Jésus et saint Jean, enfants,
plus connu sous le titre des Enfants à la coquille, les deux Christ en
Croix, portant les n°s 874 et 875, et encore le Martyre de l’apôtre saint
André, qui est peut-être, comme coloris, la plus chaude et la plus
opulente page qu’ait produite Murillo. Sous les murs de Patras, au
milieu d’une foule de soldats, de cavaliers et de spectateurs, l’apôtre,
le visage rayonnant d’une joie divine, est mis sur une croix en
forme d’X. Des anges descendent du ciel, lui apportant des cou-
ronnes et des palmes. Une lumière chaude, poudroyante, dorée,
noyant les contours, fondant les tons délicatement variés en un
tout harmonieux, enveloppe et illumine la scène qui prend, sous
ce voile vaporeux, un air de triomphe et de fête. C’est ici, on peut
s’y méprendre, toute la pompe d’une apothéose, plutôt que la repré-
sentation d’un martyre. Ainsi comprises et traduites, de telles com-
positions ne laissent pas, pour séduisantes au regard qu’elles soient,
de paraître singulières. Nous voilà loin des formes ascétiques, chères
à un Moralès, des terrifiantes créations habituelles à un Ribera,
bien loin même de l’austère simplicité d’un Zurbaran; mais c’est
que la vieille foi religieuse s’est elle-même profondément trans-
formée. Les doctrines d’Ignace de Loyola et les troublants écrits de
sainte Thérèse de Jésus ont pris, dans la dévotion espagnole, une
place prépondérante. Maintenant commence le règne de ce que Pascal
appelle « la dévotion aisée », et Murillo, par là, est bien le reflet de
son milieu et de son temps. Voyez plutôt, sous le n° 861, comment il
a traité le sujet de la Porciuncula ou du Jubilé de saint François. Aux
épines qui viennent de servir aux flagellations du saint, prosterné
devant l’apparition de Jésus et Marie, les anges font épanouir une
moisson de roses qu’ils répandent joyeusement sur le sol. L’Espagne
du xviie siècle goûtait fort une telle invention, et sa dévotion se com-
plaisait à ces aimables et souriantes images.
 
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