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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 13.1895

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Nr. 4
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Mabilleau, Léopold: La peinture française au musée de Madrid, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24666#0329

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312

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

ont reléguées : la première, la Escena baquicci, présente une bacchante
un peu massive, un peu masculine de formes, mais d’une belle teinte
ambrée qui s’enlève vigoureusement sur la riche verdure du paysage
de fond ; l’autre, un Silène ivre, dont la carnation sanguine rappelle
les procédés des flamands.

J’ai hâte d’en venir aux paysages : le Musée de Madrid en compte
neuf dont le moindre a son intérêt. Le plus beau de tous, le plus
grandiose, malgré l’étroitesse du cadre, est le Polyphénie. Ce n’est,
assure-t-on, que l’esquisse du tableau renfermé dans la galerie de
l’Ermitage à Saint-Pétersbourg : peu importe, cette esquisse est un
chef-d’œuvre dont l’impression efface celle des peintures les plus
achevées et les mieux consacrées.

Imaginez une vaste prairie, coupée en avant par un ruisseau et
bornée au fond par deux hautes montagnes. Sur la cime escarpée de
la dernière, un profil gigantesque se découpe sur le ciel clair, à demi
confondu avec le roc qu’il couronne, un profil humain pourtant, de
lourdes épaules roulant sur une poitrine affaissée, une tète énorme
courbée sur un tronc d’arbre taillé en manière- de flûte. « Baignée
dans les lumières supérieures, dit Charles Blanc, cette colossale
figure produit l’effet d’un mirage immense .. »

En bas, dans la plaine, des laboureurs vaquent à leur besogne
journalière, des bœufs regagnent le pâturage, et, tout au bord de
l’eau, de rieuses jeunes filles — parmi lesquelles on devine
Galathée — se baignent sous les regards indiscrets des faunes et des
bergers auxquels Acis s’est sûrement mêlé.

Est-ce l’effet de la légende, et le peintre bénéficie-t-il ici de toutes
les rêveries poétiques évoquées par le sujet? Je ne sais, mais il y a
quelque chose d’émouvant, de poignant même dans le contraste de
cette douleur et de cette joie. On se sent pris de pitié pour le Cyclope,
— de terreur aussi en songeant au prochain réveil de sa jalousie.

Considéré du seul point de vue de la peinture, Polyphénie doit
être mis à part, dans l’œuvre de Poussin: l’antithèse fondamen-
tale où se résume l’idée du tableau, les oppositions d’ombre et de
clarté qui sont si peu dans la manière du maître, le sentiment de
disproportion et de souffrance manifesté aux }œux, tout cela donne
à la scène un caractère tragique, — je suis même tenté de dire
« romantique », car ce seul mot rend bien ma pensée, — digne de
l’imagination d’un Delacroix ou d’un Victor Hugo.

Une Diane surprise en son sommeil par un satyre forme un pendant
gracieux au Polyphénie, mais perd tout intérêt à ce rapprochement.
 
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