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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 13.1895

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Nr. 4
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Paris, Gaston: Souvenirs sur Alexandre Bida
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https://doi.org/10.11588/diglit.24666#0351

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SOUVENIRS SUR ALEXANDRE RIDA.

333

Nous le commençâmes en même temps; nous nous regardâmes en
souriant ; nous nous pressâmes les mains : nous étions amis. Pour
aimer ces vers de la même façon et leur trouver le même sens
symbolique qui nous avait frappés tous deux à la fois, il fallait
qu’il y eût dans nos âmes certaines cordes au moins, et des plus
intimes et des plus profondes, qui vibraient à l’unisson. De telles
rencontres imprévues fondent en un instant les cœurs: j’ai dû une
autre amitié qui m’est chère à une pareille surprise à propos d’un
mot de Pascal, qui, prononcé en même temps, avait rempli de
larmes les yeux des deux interlocuteurs.

Bida avait alors cinquante-cinq ans, j’en avais vingt-neuf, et
pourtant il ne m’a jamais semblé, dans les bons moments, qu’il y eût
entre nous l'abîme que semblait créer ce grande mortalis ævi spatium. Je
dis : dans les bons moments. En effet, depuis son quatrième voyage en
Orient (1861), où il s’était trop fatigué le corps et trop tendu l’esprit,
il était en proie à des accès de maladie noire qui se prolongeaient
pendant des mois, parfois pendant des années entières, etdont l’alter-
nance avec la parfaite santé de corps et d’âme remplit désormais sa
vie. Pendant tout l’hiver de 1866-1867, pour terminer sa grande
œuvre des Evangiles, il s’enferma, seul avec sa pensée et ses études,
dans une petite maison qu’il avait achetée à Etretat, sans autre dis-
traction que des promenades devant les flots bruyants : ce fut pour
ses nerfs un surcroit de fatigue. Une terrible secousse venait
d’ailleurs d’en troubler profondément l’équilibre: il avait perdu, au
printemps de 1866, une fille de quinze ans, qu’il adorait et qui était,
m’ont dit ceux qui l’ont connue, une merveille de beauté, de grâce,
de charme et d’esprit. C’est dans un accès de mélancolie (au sens
propre du mot) plus fort que jamais qu’il était venu à Divonne.

Dans ces tristes périodes, on le voyait errer seul, inquiet,
taciturne, la démarche oblique et gênée, l’œil baissé, brillant,
presque mauvais; il évitait ses amis; il cherchait un repos qu’il ne
trouvait ni jour ni nuit. Le plus terrible était qu’il ne pouvait tracer
un contour. Parfois il essayait, par un effort de volonté : il prenait
un chevalet, un papier, un crayon, et pendant des heures il restait
là, les mains inertes, l’œil voilé, l’esprit impuissant. Alors il se déso-
lait, il poussait des plaintes amères, il rejetait toute consolation et
toute espérance. Puis, un beau jour, sous l’influence des traitements
divers qu’il suivit, ou parce que la crise avait atteint sa fin natu-
relle, il sortait de ce cauchemar, il redevenait lui même, ou plutôt
il semblait que, par une compensation de la nature, n’ayant pas
 
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