240
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
portant était d’abord de dresser une liste d’œuvres, liste qui, forcé-
ment, reste incomplète1 ; de tenter ensuite de classer ces œuvres
selon l’ordre chronologique, autant que possible ; enfin, de consti-
tuer en groupes celles qui semblaient le mieux s’apparenter.
Une autre raison à ce silence prémédité, raison qui aurait
pu dispenser de la première, c’est l’absence actuelle — sinon
l’inexistence — de tout document précis, de tout acte d’archives,
établissant le lien entre quelqu’une des pièces précédemment énu-
mérées et un artiste défini, qu’il soit connu ou non. L’anneau solide-
ment fixé nous fait défaut encore, auquel pourrait s’accrocher,
formant une chaîne continue, la série des anneaux successifs.
Ce n’est pas que les noms eux-mêmes nous manquent, pendant
la période que nous avons mise à l’étude. Comme successeurs de
Jehan Fouquet, nous avons d’abord une triade de Jehan : Jehan
Bourdichon, Jehan Perréal, Jehan Poyet, ce dernier plutôt « enlu-
mineur et historieur ».
Se peut-il que, dans la liste déjà fournie des œuvres citées
précédemment, il ne s’en trouve aucune de la main d’un de ces trois
maîtres, et notamment de celle d’un des deux premiers, plus quali-
fiés? La chose ne semble guère vraisemblable. Mais cette probabilité
vague ne peut tenir lieu d’une valable affirmation.
Combien de temps durera cette obscurité ? Faut-il nous y rési-
gner pour l’instant? Faut-il, nous bornant à classer, à goûler, à
admirer les œuvres, renoncer à toute identification, à toute attribu-
tion, et jusqu’à toute présomption? Ne faut-il attendre quelque
éclaircissement que du caprice de ces divinités sourdes, aveugles,
si souvent muettes obstinément, le Temps et le Hasard ?
Rares et heureuses, les âmes, à coup sûr, que suffit à rassasier
la pure contemplation de la beauté ! Plus rares peut-être encore,
les esprits qui, sans retour, ont fait vœu de se plier à une science de
règle austère, qui ont juré de n’accepter en pâture que ses strictes
données, pour maigres et ingrates qu’elles se présentent ! Je l’avoue :
je suis de ceux qui comprennent que la splendeur permanente d’une
invention d’art puisse, à certains yeux, se passer de l’éclat secon-
daire et plus ou moins contingent d’un nom d’auteur. Je suis de
ceux qui s’inclinent devant le retranchement voulu que s’impose le
1. En dehors du Bourbonnais, de la Touraine et de l'Ile-de-France, régions
qui nous étaient le plus familières, il y aurait à citer encore, pour la période
proposée, les représentations des Arts libéraux au Puy (Haute-Loire), et peut-être
le Calvaire de la Cour d’appel de Rouen.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
portant était d’abord de dresser une liste d’œuvres, liste qui, forcé-
ment, reste incomplète1 ; de tenter ensuite de classer ces œuvres
selon l’ordre chronologique, autant que possible ; enfin, de consti-
tuer en groupes celles qui semblaient le mieux s’apparenter.
Une autre raison à ce silence prémédité, raison qui aurait
pu dispenser de la première, c’est l’absence actuelle — sinon
l’inexistence — de tout document précis, de tout acte d’archives,
établissant le lien entre quelqu’une des pièces précédemment énu-
mérées et un artiste défini, qu’il soit connu ou non. L’anneau solide-
ment fixé nous fait défaut encore, auquel pourrait s’accrocher,
formant une chaîne continue, la série des anneaux successifs.
Ce n’est pas que les noms eux-mêmes nous manquent, pendant
la période que nous avons mise à l’étude. Comme successeurs de
Jehan Fouquet, nous avons d’abord une triade de Jehan : Jehan
Bourdichon, Jehan Perréal, Jehan Poyet, ce dernier plutôt « enlu-
mineur et historieur ».
Se peut-il que, dans la liste déjà fournie des œuvres citées
précédemment, il ne s’en trouve aucune de la main d’un de ces trois
maîtres, et notamment de celle d’un des deux premiers, plus quali-
fiés? La chose ne semble guère vraisemblable. Mais cette probabilité
vague ne peut tenir lieu d’une valable affirmation.
Combien de temps durera cette obscurité ? Faut-il nous y rési-
gner pour l’instant? Faut-il, nous bornant à classer, à goûler, à
admirer les œuvres, renoncer à toute identification, à toute attribu-
tion, et jusqu’à toute présomption? Ne faut-il attendre quelque
éclaircissement que du caprice de ces divinités sourdes, aveugles,
si souvent muettes obstinément, le Temps et le Hasard ?
Rares et heureuses, les âmes, à coup sûr, que suffit à rassasier
la pure contemplation de la beauté ! Plus rares peut-être encore,
les esprits qui, sans retour, ont fait vœu de se plier à une science de
règle austère, qui ont juré de n’accepter en pâture que ses strictes
données, pour maigres et ingrates qu’elles se présentent ! Je l’avoue :
je suis de ceux qui comprennent que la splendeur permanente d’une
invention d’art puisse, à certains yeux, se passer de l’éclat secon-
daire et plus ou moins contingent d’un nom d’auteur. Je suis de
ceux qui s’inclinent devant le retranchement voulu que s’impose le
1. En dehors du Bourbonnais, de la Touraine et de l'Ile-de-France, régions
qui nous étaient le plus familières, il y aurait à citer encore, pour la période
proposée, les représentations des Arts libéraux au Puy (Haute-Loire), et peut-être
le Calvaire de la Cour d’appel de Rouen.