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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Sans autre ressource que la suite des Six quartiers de Paris,
qui parut la même année, un metteur en scène pourrait reconstituer
fidèlement un salon du faubourg Saint-Germain, du Marais ou de la
Bourse en 1828. 11 aurait pour se guider d’amusants petits tableaux,
où les mines et les vêtements des personnages et les détails d’ameu-
blement, attentivement différenciés selon les quartiers, sévères et
sombres ici, là somptueux ou coquets, ailleurs vieillots, surprennent
à force d’exactitude et font penser aux merveilleuses descriptions
de Balzac, alors que l’impassibilité du peintre et son sérieux humo-
ristique rappellent Hogarth.
Le titre de l’album des Grisettes (1829) annonce que les aïeules
des lorettes de Gavarni ont été dessinées « d'après nature». On en
doute, en voyant ces timides et insignifiants croquis, semblables à
ceux qu’un scribe inoccupé pourrait tracer sur la marge d'un dossier,
en pensant aux parties du dimanche, et que ne parviennent pas à
rendre plus piquants de courtes légendes, dont le sel paraît emprunté
aux vers de Béranger, souvent fades eux-mêmes quand ils vont sans
chanson.
La nouveauté du genre, ces allures, ce flegme britanniques, que
Monnier avait rapportés d’un voyage fait à Londres en compagnie
d’Eugène Lami, 1 intérêt qu’on portait alors au procédé de Sene-
felder, utilisé depuis peu en France, valurent à Monnier, autant que
les mérites incontestables de ses premières œuvres, un renom rapide
et des louanges parfois inattendues, comme celles que Louis Vitet,
dès 1829, décernait au «jeune homme entré le dernier dans la
carrière » et qui venait « aussi réclamer une place... » ; le futur
académicien ajoutait, sur un ton qui fit peut-être sourire le «jeune
homme », « et si nous en croyons le goût du public et le nôtre, c’est
une première place qu’il a le droit d’exiger1 ».
Malgré tout, il faut chercher ailleurs que dans ses lithographies
le meilleur de l’œuvre dessiné d’Henry Monnier. Son talent, loin
d’être primesautier, ne convenait pas au travail de la pierre, où les
retouches sont difficiles, sinon impossibles, et qui exige une sûreté
de main et une liberté d’exécution très grandes, surtout dans le
dessin à la plume, choisi pour la plupart de ces séries destinées à
être coloriées au patron. Les aquarelles, les dessins au crayon ou à
l’encre laissés par Monnier sont, généralement, bien supérieurs à
ses lithographies, parce qu’il a pu les reprendre à loisir, les modi-
I. Études sur les beaux-arts et la littérature, par M. L. Vitet. Paris, 1851.
2 vol. in-12.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Sans autre ressource que la suite des Six quartiers de Paris,
qui parut la même année, un metteur en scène pourrait reconstituer
fidèlement un salon du faubourg Saint-Germain, du Marais ou de la
Bourse en 1828. 11 aurait pour se guider d’amusants petits tableaux,
où les mines et les vêtements des personnages et les détails d’ameu-
blement, attentivement différenciés selon les quartiers, sévères et
sombres ici, là somptueux ou coquets, ailleurs vieillots, surprennent
à force d’exactitude et font penser aux merveilleuses descriptions
de Balzac, alors que l’impassibilité du peintre et son sérieux humo-
ristique rappellent Hogarth.
Le titre de l’album des Grisettes (1829) annonce que les aïeules
des lorettes de Gavarni ont été dessinées « d'après nature». On en
doute, en voyant ces timides et insignifiants croquis, semblables à
ceux qu’un scribe inoccupé pourrait tracer sur la marge d'un dossier,
en pensant aux parties du dimanche, et que ne parviennent pas à
rendre plus piquants de courtes légendes, dont le sel paraît emprunté
aux vers de Béranger, souvent fades eux-mêmes quand ils vont sans
chanson.
La nouveauté du genre, ces allures, ce flegme britanniques, que
Monnier avait rapportés d’un voyage fait à Londres en compagnie
d’Eugène Lami, 1 intérêt qu’on portait alors au procédé de Sene-
felder, utilisé depuis peu en France, valurent à Monnier, autant que
les mérites incontestables de ses premières œuvres, un renom rapide
et des louanges parfois inattendues, comme celles que Louis Vitet,
dès 1829, décernait au «jeune homme entré le dernier dans la
carrière » et qui venait « aussi réclamer une place... » ; le futur
académicien ajoutait, sur un ton qui fit peut-être sourire le «jeune
homme », « et si nous en croyons le goût du public et le nôtre, c’est
une première place qu’il a le droit d’exiger1 ».
Malgré tout, il faut chercher ailleurs que dans ses lithographies
le meilleur de l’œuvre dessiné d’Henry Monnier. Son talent, loin
d’être primesautier, ne convenait pas au travail de la pierre, où les
retouches sont difficiles, sinon impossibles, et qui exige une sûreté
de main et une liberté d’exécution très grandes, surtout dans le
dessin à la plume, choisi pour la plupart de ces séries destinées à
être coloriées au patron. Les aquarelles, les dessins au crayon ou à
l’encre laissés par Monnier sont, généralement, bien supérieurs à
ses lithographies, parce qu’il a pu les reprendre à loisir, les modi-
I. Études sur les beaux-arts et la littérature, par M. L. Vitet. Paris, 1851.
2 vol. in-12.