GAZETTE DES BEAUX-ARTS
90
exemple, garda longtemps son caractère symbolique. Les artistes,
fidèles à l’esprit des anciens Docteurs, continuent à représenter une
scène toute mystique. L’Enfant est couché, non pas dans une crèche,
mais sur un autel, comme une victime expiatoire, tandis que la
Vierge, étendue sur son lit, semble se perdre dans de graves pen-
sées. LTn manuscrit de la Bibliothèque Nationale, qui porte la date
de 1347, nous montre une Nativité, conforme à cette formule, et
telle qu’on l’eût dessinée cent ans plus tôt1. En 1373, l’antique
ordonnance se maintient encore 2. Mais
c’est bien là l’extrême limite de l’art
symbolique né de la théologie.
Avant même le milieu du xive siècle,
certains miniaturistes se montrent im-
patients d’une tradition qu’ils ne com-
prennent plus. Un livre exquis, le
Bréviaire de Belleville, enluminé aux
environs de 1340, a retenu tout le parfum
de l’art du temps de saint Louis3 4. C’est
la plus charmante fleur du xme siècle
éclose au xive. Et pourtant, l’artiste ne
reste pas scrupuleusement fidèle
à toutes les anciennes formules.
11 conserve, il est vrai, à la scène
de la Nativité son aspect accou-
tumé : la Vierge est couchée sur
LA NATIVITE
FRAGMENT d’uNE MINIATURE
DU XIIIe SIÈCLE
(Ms. latin 17 326, Bibliothèque Nationale, Paris.)
un lit et l’Enfant étendu sur un
autel; — mais la mère ne dé-
tourne plus les yeux pour méditer
sur les desseins de Dieu, elle ne
peut s’empêcher de regarder son Fils et d’étendre la main pour lui
caresser doucement la tête A II est évident que l’artiste n’entrait déjà
plus dans ce monde de hautes pensées qui avaient guidé la main
1. B. N., ms. franç. 152, Bible historiaas, traduite par Guyart-Desmoulins, f° 375.
2. B. N., ms. franc. 316, Miroir historial de Vincent de Beauvais, traduit par
Jean de Vignay, f°302 v°. La date de 1373 qui était à la fin du volume a été effacée,
mais elle se laisse encore deviner.
3. B. N., ms. latins 10 483, 10 484. Les premières pages sont consacrées à une
explication symbolique des miniatures, tout à fait dans le goût du xme siècle.
4. B. N., ms. latin 10 483, f° 242 v°. En y regardant de près, on pourrait voir
naître cet ordre de sentiments dès la fin du [xme siècle (la Nativité de la crypte
de Chartres) : mais les exemples sont tout à fait isolés.
90
exemple, garda longtemps son caractère symbolique. Les artistes,
fidèles à l’esprit des anciens Docteurs, continuent à représenter une
scène toute mystique. L’Enfant est couché, non pas dans une crèche,
mais sur un autel, comme une victime expiatoire, tandis que la
Vierge, étendue sur son lit, semble se perdre dans de graves pen-
sées. LTn manuscrit de la Bibliothèque Nationale, qui porte la date
de 1347, nous montre une Nativité, conforme à cette formule, et
telle qu’on l’eût dessinée cent ans plus tôt1. En 1373, l’antique
ordonnance se maintient encore 2. Mais
c’est bien là l’extrême limite de l’art
symbolique né de la théologie.
Avant même le milieu du xive siècle,
certains miniaturistes se montrent im-
patients d’une tradition qu’ils ne com-
prennent plus. Un livre exquis, le
Bréviaire de Belleville, enluminé aux
environs de 1340, a retenu tout le parfum
de l’art du temps de saint Louis3 4. C’est
la plus charmante fleur du xme siècle
éclose au xive. Et pourtant, l’artiste ne
reste pas scrupuleusement fidèle
à toutes les anciennes formules.
11 conserve, il est vrai, à la scène
de la Nativité son aspect accou-
tumé : la Vierge est couchée sur
LA NATIVITE
FRAGMENT d’uNE MINIATURE
DU XIIIe SIÈCLE
(Ms. latin 17 326, Bibliothèque Nationale, Paris.)
un lit et l’Enfant étendu sur un
autel; — mais la mère ne dé-
tourne plus les yeux pour méditer
sur les desseins de Dieu, elle ne
peut s’empêcher de regarder son Fils et d’étendre la main pour lui
caresser doucement la tête A II est évident que l’artiste n’entrait déjà
plus dans ce monde de hautes pensées qui avaient guidé la main
1. B. N., ms. franç. 152, Bible historiaas, traduite par Guyart-Desmoulins, f° 375.
2. B. N., ms. franc. 316, Miroir historial de Vincent de Beauvais, traduit par
Jean de Vignay, f°302 v°. La date de 1373 qui était à la fin du volume a été effacée,
mais elle se laisse encore deviner.
3. B. N., ms. latins 10 483, 10 484. Les premières pages sont consacrées à une
explication symbolique des miniatures, tout à fait dans le goût du xme siècle.
4. B. N., ms. latin 10 483, f° 242 v°. En y regardant de près, on pourrait voir
naître cet ordre de sentiments dès la fin du [xme siècle (la Nativité de la crypte
de Chartres) : mais les exemples sont tout à fait isolés.