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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des épisodes les plus curieux de l’histoire artistique du moyen âge.
Et le phénomène est d’autant plus intéressant qu’il est européen.
Presque à la même heure, la France, l’Italie, les Flandres s’ouvrent
aux idées nouvelles.
La Nativité nous servira encore d’exemple. En France, c’est
dans un manuscrit qui me paraît contemporain de ceux du duc de
Berry 1 que je trouve pour la première fois l’arrangement nou-
veau si différent de l’ancien. Dans ce manuscrit, conservé à la
Bibliothèque de l’Arsenal2, la Nativité est représentée jusqu’à quatre
fois, et chaque fois la Vierge s’agenouille devant son Enfant, qui
repose tout nu sur la terre. Saint Joseph et les anges adorent eux
aussi le nouveau-né. D’ailleurs un des manuscrits du duc de Berry
nous offre aussi une Nativité conçue de la même façon : elle se ren-
contre dans l’admirable livre d’Heures conservé à Chantilly. Fou-
quet, dans les Heures d’Etienne Chevalier/3, ne fait que se conformer
à un usage désormais bien établi.
En Italie, c’est à peu près à la même époque que Gentile da
Fabriano, rompant avec la tradition giottesque, peignait une Vierge
agenouillée devant le nouveau-né4; formule nouvelle que nous
voyons adoptée presque immédiatement par les Ombriens et les
Florentins. Vers 1430, Fra Filippo Lippi n’imagine pas qu’on puisse
représenter autrement la Nativité.
En Flandre, le thème nouveau a dû apparaître aussi dans les
trente premières années du xv® siècle. Des manuscrits, qui ont
tous les caractères de l'art de cette période, nous le montrent
déjà5. Vers le milieu du siècle, il fut adopté par les grands peintres
flamands. La fameuse Nativité que Rogier van der Weyden peignit
1. Mort en 1416.
2. Nous devons à l’obligeance de MM. Plon-Nourrit et Cie la communication de
la planche, extraite de Chantilly : les Quarante Fouquet, qui reproduit cette Nativité.
3. N° 647, f° 41. Ce livre, quoique modeste, est très certainement du même
artiste qu’un admirable livre d’Heures de la Bib. Nat. (ms. latin 9 471) et qu’un
autre, beaucoup moins riche, de la même bibliothèque (ms. latin 13 262). Quelques
costumes typiques, qui se rencontrent dans le manuscrit latin 9 471, démontrent
que l’artiste vivait au commencement du xve siècle. Tous ces manuscrits sont fran-
çais, comme le prouve le calendrier, où figurent des saints de la région parisienne.
4. Florence, Galerie antique et moderne. AS. Maria Novella se voit une fresque
attribuée à Lorenzo di Bicci et qui pourrait être de la lin du xiv° siècle. La
Vierge est déjà à genoux devant l’Enfant couché tout nu sur la terre.
5. Notamment B. N., ms. latin 10 548, f° 70. Des maisons à pignons (f° 38 v°),
pareilles à celles de G and ou de Bruges, prouvent que le manuscrit est bien
flamand. Voir aussi B. N., ms. latin 13 264, f° 67 v°. Le calendrier indique que le
manuscrit est flamand ou artésien.
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des épisodes les plus curieux de l’histoire artistique du moyen âge.
Et le phénomène est d’autant plus intéressant qu’il est européen.
Presque à la même heure, la France, l’Italie, les Flandres s’ouvrent
aux idées nouvelles.
La Nativité nous servira encore d’exemple. En France, c’est
dans un manuscrit qui me paraît contemporain de ceux du duc de
Berry 1 que je trouve pour la première fois l’arrangement nou-
veau si différent de l’ancien. Dans ce manuscrit, conservé à la
Bibliothèque de l’Arsenal2, la Nativité est représentée jusqu’à quatre
fois, et chaque fois la Vierge s’agenouille devant son Enfant, qui
repose tout nu sur la terre. Saint Joseph et les anges adorent eux
aussi le nouveau-né. D’ailleurs un des manuscrits du duc de Berry
nous offre aussi une Nativité conçue de la même façon : elle se ren-
contre dans l’admirable livre d’Heures conservé à Chantilly. Fou-
quet, dans les Heures d’Etienne Chevalier/3, ne fait que se conformer
à un usage désormais bien établi.
En Italie, c’est à peu près à la même époque que Gentile da
Fabriano, rompant avec la tradition giottesque, peignait une Vierge
agenouillée devant le nouveau-né4; formule nouvelle que nous
voyons adoptée presque immédiatement par les Ombriens et les
Florentins. Vers 1430, Fra Filippo Lippi n’imagine pas qu’on puisse
représenter autrement la Nativité.
En Flandre, le thème nouveau a dû apparaître aussi dans les
trente premières années du xv® siècle. Des manuscrits, qui ont
tous les caractères de l'art de cette période, nous le montrent
déjà5. Vers le milieu du siècle, il fut adopté par les grands peintres
flamands. La fameuse Nativité que Rogier van der Weyden peignit
1. Mort en 1416.
2. Nous devons à l’obligeance de MM. Plon-Nourrit et Cie la communication de
la planche, extraite de Chantilly : les Quarante Fouquet, qui reproduit cette Nativité.
3. N° 647, f° 41. Ce livre, quoique modeste, est très certainement du même
artiste qu’un admirable livre d’Heures de la Bib. Nat. (ms. latin 9 471) et qu’un
autre, beaucoup moins riche, de la même bibliothèque (ms. latin 13 262). Quelques
costumes typiques, qui se rencontrent dans le manuscrit latin 9 471, démontrent
que l’artiste vivait au commencement du xve siècle. Tous ces manuscrits sont fran-
çais, comme le prouve le calendrier, où figurent des saints de la région parisienne.
4. Florence, Galerie antique et moderne. AS. Maria Novella se voit une fresque
attribuée à Lorenzo di Bicci et qui pourrait être de la lin du xiv° siècle. La
Vierge est déjà à genoux devant l’Enfant couché tout nu sur la terre.
5. Notamment B. N., ms. latin 10 548, f° 70. Des maisons à pignons (f° 38 v°),
pareilles à celles de G and ou de Bruges, prouvent que le manuscrit est bien
flamand. Voir aussi B. N., ms. latin 13 264, f° 67 v°. Le calendrier indique que le
manuscrit est flamand ou artésien.