L’EXPOSITION DES PRIMITIFS FRANÇAIS
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Aucune œuvre d’art, à cette époque, ne s’imagine, en effet,
qu’elle puisse vivre isolée. Elle fait partie d’un milieu, elle veut
rester dans ce milieu, et, dès qu’on l’en sépare, on la trahit et on
l’altère. Quel effet devaient produire, dans un ensemble approprié,
ces trop rares fragments d’admirables sculptures recueillies au
pavillon de Marsan : le Roi (Roi Mage?) en argent doré,récemment
découvert dans une cachette de maçonnerie à Bourges (collection
Hoentschel), la Tête de femme (collection Pol Neveux), la Tête de roi
(collection Albert Maignan), toutes deux provenant de Reims, Y Ange
debout (don de M. Jules Maciet au musée des Arts décoratifs) et le
groupe en ivoire de Y Annonciation (coll. Chalandon et Garnier)!
Tels qu’ils nous apparaissent, tous nous disent encore bien haut la
gravité, la simplicité, la noblesse forte et saine avec lesquelles nos
imagiers concevaient la figure humaine. Le charme coloré s’y ajou-
tait déjà, pour les yeux, aux charmes de la forme et de l’expression,
soit, pour l’orfèvrerie et pour l’ivoire, par le jeu, savamment cal-
culé, dans les reliefs et les creux, les draperies et les modelés, des
luisants, ombres et reflets produits par la matière même, soit, pour
le marbre et la pierre, par l’enluminure attentive dont les rehaus-
saient les sculpteurs eux-mêmes ou leurs confrères les peintres. On
peut la remarquer déjà dans ces petits ouvrages, comme dans les
miniatures contemporaines; plus on avance vers le xiv° siècle, plus
les formes, en s’assouplissant, tendent à s’agiter et s’amaigrir, plus
un amour perspicace et vif des réalités vivantes s’introduit dans
les images traditionnelles ou idéales pour les individualiser et les
humaniser chaque jour davantage. Sur les visages, plus arrondis et
moins divins, des Vierges et des anges commence à flotter ce
sourire aimable et vague qui deviendra insignifiant à force de se
répéter, jusqu’à ce qu’il tourne quelquefois, au siècle suivant, en
afféteries maniérées et prétentieuses.
Dès lors, comme on peut le constater dans les miniatures,
chez les peintres émancipateurs, il y a deux tendances différentes,
déjà très caractérisées, qu’on retrouvera toujours en France. Les
uns, par une observation plus simple, un style plus ferme et plus
franc, quelquefois rude et grossier, mais toujours sérieux et
expressif, se rattachent encore au grand art collectif du xme siècle,
qu’ils veulent ranimer et compléter; les autres, avec des observa-
tions plus variées et plus fines, en cherchant plus de mouvement,
plus de caractère, plus de nouveauté, se préoccupent davantage
aussi des détails et de l’agrément. Les premiers, dans leurs dessins
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Aucune œuvre d’art, à cette époque, ne s’imagine, en effet,
qu’elle puisse vivre isolée. Elle fait partie d’un milieu, elle veut
rester dans ce milieu, et, dès qu’on l’en sépare, on la trahit et on
l’altère. Quel effet devaient produire, dans un ensemble approprié,
ces trop rares fragments d’admirables sculptures recueillies au
pavillon de Marsan : le Roi (Roi Mage?) en argent doré,récemment
découvert dans une cachette de maçonnerie à Bourges (collection
Hoentschel), la Tête de femme (collection Pol Neveux), la Tête de roi
(collection Albert Maignan), toutes deux provenant de Reims, Y Ange
debout (don de M. Jules Maciet au musée des Arts décoratifs) et le
groupe en ivoire de Y Annonciation (coll. Chalandon et Garnier)!
Tels qu’ils nous apparaissent, tous nous disent encore bien haut la
gravité, la simplicité, la noblesse forte et saine avec lesquelles nos
imagiers concevaient la figure humaine. Le charme coloré s’y ajou-
tait déjà, pour les yeux, aux charmes de la forme et de l’expression,
soit, pour l’orfèvrerie et pour l’ivoire, par le jeu, savamment cal-
culé, dans les reliefs et les creux, les draperies et les modelés, des
luisants, ombres et reflets produits par la matière même, soit, pour
le marbre et la pierre, par l’enluminure attentive dont les rehaus-
saient les sculpteurs eux-mêmes ou leurs confrères les peintres. On
peut la remarquer déjà dans ces petits ouvrages, comme dans les
miniatures contemporaines; plus on avance vers le xiv° siècle, plus
les formes, en s’assouplissant, tendent à s’agiter et s’amaigrir, plus
un amour perspicace et vif des réalités vivantes s’introduit dans
les images traditionnelles ou idéales pour les individualiser et les
humaniser chaque jour davantage. Sur les visages, plus arrondis et
moins divins, des Vierges et des anges commence à flotter ce
sourire aimable et vague qui deviendra insignifiant à force de se
répéter, jusqu’à ce qu’il tourne quelquefois, au siècle suivant, en
afféteries maniérées et prétentieuses.
Dès lors, comme on peut le constater dans les miniatures,
chez les peintres émancipateurs, il y a deux tendances différentes,
déjà très caractérisées, qu’on retrouvera toujours en France. Les
uns, par une observation plus simple, un style plus ferme et plus
franc, quelquefois rude et grossier, mais toujours sérieux et
expressif, se rattachent encore au grand art collectif du xme siècle,
qu’ils veulent ranimer et compléter; les autres, avec des observa-
tions plus variées et plus fines, en cherchant plus de mouvement,
plus de caractère, plus de nouveauté, se préoccupent davantage
aussi des détails et de l’agrément. Les premiers, dans leurs dessins