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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
détruire, de raser. Pour le sauver, il eût fallu la générosité sou-
daine d’un amateur, et les amateurs restaient insensibles. Le chef-
d’œuvre de Mansart ne tentait pas des enthousiasmes qui ne
résistent pas d’ordinaire à des tapisseries en lambeaux et à des
tableaux douteux. Restaient les pouvoirs publics, et l’on sait, de
reste, quelle insouciance, quelle indifférence environne toutes ques-
tions où la clientèle électorale n’est pas en jeu. On essaya bien d’un
projet qui donnait le domaine au département et lui permettait d'y
établir un hospice ; mais il se trouva bientôt si compliqué de diffi-
cultés inattendues, si défiguré par des intérêts étrangers au salut du
château, qu’il fallut y renoncer. Les admirateurs de Maisons com-
mençaient de désespérer et jetaient un dernier appel à l’Etat. Il a
été entendu de la direction des Beaux-Arts dont l’intervention éner-
gique a sauvé Maisons. Ce n’est pas sans peine, il est vrai, qu’on
trouvera sur le crédit des Monuments historiques les deux cent
mille francs nécessaires : il faudra consentir des sacrifices, espacer
l’accomplissement des travaux projetés, économiser, compter, se
surveiller. Mais tant de soins ne seront pas vains, puisque le château
de Maisons demeure debout pour le plus grand honneur de ceux
qui ont assuré son salut et la joie de tous ceux qui ont souci de nos
richesses d’art.
*
* *
Le château de Maisons s’élève près de la Seine, dans un site
heureusement choisi et bien connu des Parisiens. La terre où il est
situé appartenait depuis deux siècles à la famille de Longueil,
lorsque son propriétaire, le président à mortier René de Longueil,
eut l’idée de faire bâtir. Cet homme de robe était homme de goût.
Le jour où il lui prit fantaisie d’avoir un château, c’est à Mansart
qu’il s’adressa. A la vérité, c’était là pour lui une décision d’impor-
tance. René de Longueil commençait déjà de faire une belle car-
rière, et il se sentait assez riche, assez confiant en lui-même, assez
sceptique à l’égard du reste, pour la mener à bien. Il avait quelque
raison puisqu’il finit par devenir surintendant des finances et par
faire ériger en marquisat la seigneurie de Maisons. En 1642 il n’était
encore que président au Parlement de Paris, et il souhaitait de rece-
voir chez lui les gens de condition. En demandant à Mansart d’être
son architecte, il servait sans doute ses intérêts, mais il se montrait
aussi fort courageux. Il poussait, en effet, la confiance jusqu’à laisser
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
détruire, de raser. Pour le sauver, il eût fallu la générosité sou-
daine d’un amateur, et les amateurs restaient insensibles. Le chef-
d’œuvre de Mansart ne tentait pas des enthousiasmes qui ne
résistent pas d’ordinaire à des tapisseries en lambeaux et à des
tableaux douteux. Restaient les pouvoirs publics, et l’on sait, de
reste, quelle insouciance, quelle indifférence environne toutes ques-
tions où la clientèle électorale n’est pas en jeu. On essaya bien d’un
projet qui donnait le domaine au département et lui permettait d'y
établir un hospice ; mais il se trouva bientôt si compliqué de diffi-
cultés inattendues, si défiguré par des intérêts étrangers au salut du
château, qu’il fallut y renoncer. Les admirateurs de Maisons com-
mençaient de désespérer et jetaient un dernier appel à l’Etat. Il a
été entendu de la direction des Beaux-Arts dont l’intervention éner-
gique a sauvé Maisons. Ce n’est pas sans peine, il est vrai, qu’on
trouvera sur le crédit des Monuments historiques les deux cent
mille francs nécessaires : il faudra consentir des sacrifices, espacer
l’accomplissement des travaux projetés, économiser, compter, se
surveiller. Mais tant de soins ne seront pas vains, puisque le château
de Maisons demeure debout pour le plus grand honneur de ceux
qui ont assuré son salut et la joie de tous ceux qui ont souci de nos
richesses d’art.
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Le château de Maisons s’élève près de la Seine, dans un site
heureusement choisi et bien connu des Parisiens. La terre où il est
situé appartenait depuis deux siècles à la famille de Longueil,
lorsque son propriétaire, le président à mortier René de Longueil,
eut l’idée de faire bâtir. Cet homme de robe était homme de goût.
Le jour où il lui prit fantaisie d’avoir un château, c’est à Mansart
qu’il s’adressa. A la vérité, c’était là pour lui une décision d’impor-
tance. René de Longueil commençait déjà de faire une belle car-
rière, et il se sentait assez riche, assez confiant en lui-même, assez
sceptique à l’égard du reste, pour la mener à bien. Il avait quelque
raison puisqu’il finit par devenir surintendant des finances et par
faire ériger en marquisat la seigneurie de Maisons. En 1642 il n’était
encore que président au Parlement de Paris, et il souhaitait de rece-
voir chez lui les gens de condition. En demandant à Mansart d’être
son architecte, il servait sans doute ses intérêts, mais il se montrait
aussi fort courageux. Il poussait, en effet, la confiance jusqu’à laisser