GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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« Grandes bourgeoises » et pauvres femmes, artistes et paysannes, se sont
tour à tour assises devant son chevalet : MmesLalo, Tardieu, Waldeck-Rous-
seau, Jeanne Hading, YVeill-Goudchaux, Guignard, comme Marianne Offrey
crieuse de vert, La Femme Hagard pauvresse, Louise Cattel nourrice, Manda
Lamétrie fermière'. Celle-ci fut acclamée au Salon de 1888. Elle traverse la
prairie où elle vient de traire ses vaches, chargée d’un lourd seau de fer-hlanc
plein jusqu’au bord d'un lait immaculé, souriante à la douceur du jour et
comme auréolée d’une splendeur candide par la nature qui l’enveloppe et la
consacre. J’avais cette année-là l’honneur de remplir à la Gazette des Beaux-
Arts la charge de salonnier et j’eus la joie de pouvoir célébrer à plein cœur
l’œuvre de notre ami... Hélas ! j’ai voulu relire, après trente-deux ans, le
paragraphe que je lui consacrai — et c’est d'abord une coqnillc qui a frappé
mes yeux... Mais il est décidément trop tard pour un erratum !
On a remarqué dans l’énumcration, incomplète d’ailleurs, de ses por-
traits, la fréquence des hommes politiques, plus ou moins membres des
ministères successifs qui ont fait le bonheur de la France. Roll, en effet, en était
venu à faire plus ou moins figure de « peintre du régime » et les ministres
ou directeurs des Beaux-Arts qui se succédèrent rue de Valois eurent souvent
recours à son talent pour commémorer sur de vastes toiles, de format cha-
que année croissant et bientôt d’un métrage égala celui du Sacre de David,
les plus solennelles cérémonies officielles. De la Fêle du / j juillet 1880 (qui
parut au Salon de 1882 et fait partie aujourd’hui des collections de la ville
de Paris dans ce Petit-Palais dont il achevait la décoration quand la mort a fait
tomber le pinceau de sa main) à XInauguration du pont Alexandre III, il a été
l’historiographe ou le mémorialiste chargé de fixer pour la postérité l’image
des grandes journées républicaines et populaires. La première en date est la
Fête du 1/} Juillet 1880. R est allé place de la République, où l’on venait
d'éi'iger la médiocre statue symbolique, coiffée du bonnet phrygien, qui d’un
geste ennuyé montre sans conviction le ciel aux Parisiens. Dans le pou-
droiement de l'atmosphère estivale où le piétinement de la foule fait monter
comme un brouillard, les maisons de la place, les feuillages déjà fanés des
arbres, les mâts chargés d’oriflammes s’estompent et semblent s’éloigner. Au
premier plan, c’est le grouillement de la fêle foraine ; autour d’une estrade
où sévit un orchestre, un bal s’est improvisé et les couples enlacés tournent
sur la chaussée..., mais tout à coup, les danses s’interrompent, toutes les têtes
se tournent dansla même direction ; la marchande de coco elle-même, la main
sur le robinet de son tonneau s’arrête un moment de a verser » ; un bourgeois
patriote tend avec enthousiasme le bras vers la statue de la République... : c’est
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1888, t. I, p. 446.
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« Grandes bourgeoises » et pauvres femmes, artistes et paysannes, se sont
tour à tour assises devant son chevalet : MmesLalo, Tardieu, Waldeck-Rous-
seau, Jeanne Hading, YVeill-Goudchaux, Guignard, comme Marianne Offrey
crieuse de vert, La Femme Hagard pauvresse, Louise Cattel nourrice, Manda
Lamétrie fermière'. Celle-ci fut acclamée au Salon de 1888. Elle traverse la
prairie où elle vient de traire ses vaches, chargée d’un lourd seau de fer-hlanc
plein jusqu’au bord d'un lait immaculé, souriante à la douceur du jour et
comme auréolée d’une splendeur candide par la nature qui l’enveloppe et la
consacre. J’avais cette année-là l’honneur de remplir à la Gazette des Beaux-
Arts la charge de salonnier et j’eus la joie de pouvoir célébrer à plein cœur
l’œuvre de notre ami... Hélas ! j’ai voulu relire, après trente-deux ans, le
paragraphe que je lui consacrai — et c’est d'abord une coqnillc qui a frappé
mes yeux... Mais il est décidément trop tard pour un erratum !
On a remarqué dans l’énumcration, incomplète d’ailleurs, de ses por-
traits, la fréquence des hommes politiques, plus ou moins membres des
ministères successifs qui ont fait le bonheur de la France. Roll, en effet, en était
venu à faire plus ou moins figure de « peintre du régime » et les ministres
ou directeurs des Beaux-Arts qui se succédèrent rue de Valois eurent souvent
recours à son talent pour commémorer sur de vastes toiles, de format cha-
que année croissant et bientôt d’un métrage égala celui du Sacre de David,
les plus solennelles cérémonies officielles. De la Fêle du / j juillet 1880 (qui
parut au Salon de 1882 et fait partie aujourd’hui des collections de la ville
de Paris dans ce Petit-Palais dont il achevait la décoration quand la mort a fait
tomber le pinceau de sa main) à XInauguration du pont Alexandre III, il a été
l’historiographe ou le mémorialiste chargé de fixer pour la postérité l’image
des grandes journées républicaines et populaires. La première en date est la
Fête du 1/} Juillet 1880. R est allé place de la République, où l’on venait
d'éi'iger la médiocre statue symbolique, coiffée du bonnet phrygien, qui d’un
geste ennuyé montre sans conviction le ciel aux Parisiens. Dans le pou-
droiement de l'atmosphère estivale où le piétinement de la foule fait monter
comme un brouillard, les maisons de la place, les feuillages déjà fanés des
arbres, les mâts chargés d’oriflammes s’estompent et semblent s’éloigner. Au
premier plan, c’est le grouillement de la fêle foraine ; autour d’une estrade
où sévit un orchestre, un bal s’est improvisé et les couples enlacés tournent
sur la chaussée..., mais tout à coup, les danses s’interrompent, toutes les têtes
se tournent dansla même direction ; la marchande de coco elle-même, la main
sur le robinet de son tonneau s’arrête un moment de a verser » ; un bourgeois
patriote tend avec enthousiasme le bras vers la statue de la République... : c’est
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1888, t. I, p. 446.