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N° 17.

15 Septembre 1874

Seizième Année.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

•ET DE LA LITTERATURE

paraissant deux fois par mois, sous ia direction de M. Ad. SIRET, membre de l'Académie royale de Belgique, membre correspondant
de la Commission royale des monuments, membre de l’Institut des provinces de France, de la Société française d’Archéologie, etc.

OINT S’.AJBOiN'iN'IEÏ : à Anvers, chez TESSARO, éditeur; à Bruxelles, chez DECQ et
DUHENT et chez MUQUARDT; à Gand, chez HOSTE et chez ROGGHÉ ; à Liège, chez DE SOER
et chez DECQ ; à Louvain, chez Ch. PEETERS ; dans les autres villes, chez tous les libraires. Pour
l’Allemagne, la Russie et l’Amérique : C. MUQUARDT. La France : Y° RENOUARD, Paris. Pour
la Hollande : MARTIN US NYHOFF, à la Haye. - PRIX D’ÂBÔN^MENT :
pour toute la Belgique (port compris). Par an, 9 fr. — Etranger (port compris) : Allemagne, Angle-

terre, France, Hollande, Italie et Suisse, 12 fr. Pour les autres pays, même prix, le port en sus. —
IP3RIIX IP.A.R ÜN T J j\T TU K O : 50 c. — RE O xA TC S : 50 c. la ligne. — Pour les
grandes annonces on traite à forfait. — .AJSnNTOi^CIES : 40 c. la ligne. — Pour tout ce qui
regarde l’Administration ou les annonces s’adresser à l’Administration, rue du Progrès,- 28, à
St-Nicolas (Flandre orientale) ou à Louvain, rue Marie-Thérèse, 22. — Il pourra être rendu compte
des ouvrages dont un exemplaire sera adressé à la rédaction.

SOMMAIRE : Belgique : Frédéric Van de Kerk-
hove, paysagiste, mort à l’âge de 10 ans et 11 mois
(avec portrait). — Le Salon de Gand. — Introduc-
tion de l’histoire de l’art dans les écoles secondaires
et supérieures (suite). — France : Correspondance
particulière. Paul Baudry. — Italie : Exposition
de Milan. — Chronique générale. — Périodiques
illustrés. — Annonces.

FREDERIC VAN DE KERKHOVE,

PAYSAGISTE (l)

MOIiT A L’AGE DE 10 ANS ET 11 MOIS, LE 1 2 AOUT' 1S73.
SA VIE ET SON OEUVRE.

Sta viator, heroem calcas.

SA VIE.

Sa vie!... Dix ans, c’est-à-dire la première étape de
l’homme, celle pendant laquelle il a appris à ouvrir
les yeux, celle où il commence à peine à compren-
dre, celle enfin qui n’est plus la nuit, mais qui n’est
pas encore le jour. Dix ans! à peine naître, puis
mourir; passer d’une aurore à une autre, sans tran-
sition presque appréciable ; pas même l'espace du
matin des roses, juste assez pour justifier l'idée que
la vie est un éclair, et pourtant... laisser un nom !

En octobre 1862 naquit à Bruges un grand artiste,
et, en avril 1873, la mort qui ne fut jamais plus impi-
toyable, l’enleva du seuil de cette immortalité dans
laquelle le génie de l'enfant phénoménal était déjà
passé tout entier! Oui, le lecteur ne se trompe pas,
Frédéric Van de Kerkhove avait 10 ans et 11 mois
quand il mourut et il a laissé sur cette terre et dans
notre histoire artistique une lumière qui ne s’éteindra
plus !

Avant de nous engager dans l’analyse de l’œuvre
inouïe laissée par cet enfant, il nous faut dire quelle

(1) Nous donnons ici le portrait de Frédéric Vande
Kerkhove, gravé à l’eau-forte par son pire. Ce petit
portrait est d’une remarquable ressemblance.

fut sa vie, car elle eut une vie,cette frêle et magnifique
créature de Dieu ; elle eut une vie de quelques an-
nées résumant dans un si court espace une existence
des plus pleines, Le génie l’étouffa au berceau, mais
avant, il lui fit donner tout ce qu’il y avait dans son
âme, de telle façon que l’enfant est sorti de lui-même
avant de mourir.

Si nous n’avions pas sous les yeux presque l’œuvre
entier de ce petit martyr du génie, si nous n’avions
pas en mains la preuve de tout ce que nous allons
dire, nous nous croirions victime de quelque fiévreuse
hallucination; mais non, tout est vrai, tout est de la
plus lumineuse exactitude et il nous faut, qu’on
veuille bien le croire, la certitude de notre raison, de
notre jugement et de notre expérience, pour que nous
nous livrions aujourd’hui à l’étude la plus étonnante
qu’il soit donné de faire à un écrivain d’art.

Lorsqu’un enfant chéri meurt, fut-il comme celui-
ci une exception peut-être unique, les parents déso-
lés ont bien autre chose à faire que d’embaumer sa
mémoire, ils pleurent. Dans leur profonde et silen-
cieuse douleur s’abîment tous les autres sentiments,
toutes les autres sensations, presque tous les devoirs.
La tristesse est devenue comme le pain quotidien de
leur âme, ils en vivent jusqu’au jour où ils en meu-
rent. Mais la mémoire dg Frédéric, grâce à des cir-
constances fortuites, ne sera pas perdue. C’est nous
qui avons le triste et doux bonheur d’arracher ce nom
à l’oubli et d’empêcher que la justice et la gloire
ne soient frustrées.

Comme nous l’avons dit, Frédéric-Jean-Louis Van
de Kerkhove naquit à Bruges. Ce fut le 4 septembre
1862 que s’ouvrirent pour lui les voies de la douleur
et de l'art. Il naquit souffreteux de corps, mais lucide
et vaillant d’âme et d’esprit. Du jour de sa naissance
jusqu’à l’heure de sa mort, ce fut une longue souf-
france. Il n’eut peut-être pas une nuit de repos et on
ne le conserva qu’à force de soins et de tendresse.
Sa vie fut un miracle dû à la continuelle et anxieuse
sollicitude de sa mère et de son père. Tout en lui
avait pris, au, moral comme au physique, un déve-
loppement anormal, ainsi qu’on le remarque chez tous
ces petits êtres que nous nous permettrons d’appeler
plus grands que nature et qui ont jeté sur la terre un
extraordinaire éclat. Frédéric, ou Fritz, eut une intel-
ligence qui se manifesta dès ses premières années
avec une force et une lucidité remarquables ; fils d’un
artiste distingué, et presque continuellement dans
l’atelier de son père, ses premiers regards tombèrent
sur des œuvres d’art, et, chose que pourrait expliquer
sa tristesse native, ses premières attractions furent
pour les cieux assombris et couverts, les arbres muets
mais vivants, les perspectives lointaines et infinies,
en un mot, pour la nature dans ses heures les plus
mélancoliques, tandis que son père, ne s'adonnant
qu’aux sujets de genre, ne pouvait guères lui parler
que de cela et ne lui montrer l’exemple que de cette
dernière peinture.

Fritz eut au physique une croissance anormale. La
fête était forte, la maigreur du corps extrême et les
attaches aux parties musculaires exagérées. Sa pâleur
était continue, il jouait peu, mangeait considérable-
ment et ne pouvait éteindre sa soif. Souvent il de-
mandait s’il allait mourir. Cette préoccupation qui le

dominait.était pour ses malheureux parents un sup-
plice atroce. Vainement il eût cherché à la dissimuler,
elle planait sur lui et sa tendresse pour les siens en
augmentait d’autant plus. Il tenait, tant que cela
était possible, les mains de son père et de sa mère
dans les siennes. Pauvre et aimable enfant! il sentait
s’approcher le moment où ces mains,liées par l’amour,
allaient se désunir par la mort et il faisait tout ce
qu’il pouvait pour vivre le plus possible et s’impré-
gner de l’affection de ceux qu’il sentait devoir quit-
ter bientôt.

Vers l’âge de sept ans, son intelligence prit un ra-
pide essor. Les choses exactes avaient peu d’empire
sur lui, bien qu’il manifestât à cet égard des tendances
curieuses. C’est ainsi qu’il jouait aux cartes avec un
aplomb merveilleux et avec le talent d’un joueur con-
sommé, tandis qu’il pouvait difficilement se rendre
compte des lois qui veulent que deux et deux fassent
quatre. Ses pensées s’envolaient souvent au-delà de la
vie terrestre et il demandait des renseignements sur
la vie future. Dans sa toute première enfance, dès
qu’il sut parier et comprendre, il se préoccupait de
Dieu,de ce Dieu qui avait fait le ciel,les arbres, la terre,
l’eau et les fleurs. De bonne heure, comme toutes les
âmes vraiment tendres et élevées, il aima les pauvres
avec une force qui tenait de la passion. Très-souvent,
en leur faveur, il dépouilla, d’autorité et à l’insu des
domestiques, l’office de la maison paternelle déjà très-
généreuse à l’endroit des malheureux. Le soir il s’en
allait dans le voisinage voir ses pauvres, vivre et jouer
avec eux dans l’adorable intention d’adoucir par ce
contact des vies pénibles et restreintes. Il leur portait
de petits tableaux faits par lui, en même temps que
des vivres et des joujoux. Quand le cher et miséricor-
dieux enfant entrait là, c’était comme un rayon de
soleil et tout le monde se sentait réchauffé.

Un jour Fritz ne vint pas. Il était mort. Un épan-
chement au cerveau l’avait enlevé. Il était parti d’ici-
bas sans avoir l’air de souffrir ; il était allé chercher le
mot de ce grand secret qui fut peut-être le ressort de
sa vie et la source de tant de mélodieuses rêveries dont
nous parlerons plus loin.

Cette mort n’étonna pas. La ville de Bruges tout
entière qui connaissait et qui aimait l’enfant prodige,
non à cause de son talent, mais pour la beauté et la
bonté de son caractère, lui fit des funérailles sponta-
nées. Tout le monde entoura le cercueil de l’ange
à la messe dernière, et, dans tout ce monde où se con-
fondaient les sommités sociales de la ville, on vit une
chose consolante dans un temps d’égoïsme comme
celui-ci, on vit les pauvres bien-aimés de Fritz se pré-
senter en foule à l’offrande, le visage baigné de larmes
et sanglotant à faire pitié. Aujourd’hui encore, ces
mêmes pauvres vont une fois par semaine visiter le
tombeau de ce petit enfant de 10 ans et saluer en
priant l’ombre chérie de celui dont ils sont désormais
les orphelins.

Comme souvenir, il reste aux parents désolés, dans
le fond de leur âme, l’image adorée de leur e.nfant ;
dans leur esprit, l’écho de ses réparties spirituelles,
de ses tristes investigations, de ses bonnes œuvres,
de ses douleurs, de ses joies, de ce qui fut enfin la
naissance, la vie et la mort de Fritz. Il leur reste,
après la suprême espérance, la consolation de cette
 
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