Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 1.1869)

BOUDOIR DE LA DU THE

la fin du siècle dernier, vivait à
Paris une de ces élégantes créa-
lures qui, depuis Aspasie et Pop-
pée jusqu’il la Pompadour et la
Du Barry, ont souvent régné, par
droit de conquête, sur le cœur
des rois et des princes. Mais alors
Louis XV ne vivait plus, et
Louis XVI pratiquait toutes les
vertus. La charmante actrice fut
donc réduite à captiver le cœur
du sémillant comte d’Artois, qui
plus tard devint, ce qu’on ne pou-
vait guère prévoir a'ors, l’austère
Charles X.

Or, le comte d’Artois avait fait
don à Ml,e Duthé, dans la Chaus-
sée-d’Antin, quartier, à cette épo-
que, retiré, discret, d’un ravissant petit hôtel, acquis par bail emphythéolique. Bien
ne fut épargné pour la décoration de cet hôtel, sur lequel vint s’abattre une vraie pluie
d’or qui enfanta merveilles sur^merveilles, et parmi celles-ci un délicieux boudoir,
véritable bonbonnière ornée par van Spaendonck , le célèbre miniaturiste.

Qu’on se figure une douzaine de panneaux blancs, sur lesquels la main habile de
l’artiste a jeté discrètement quelques flèches, quelques carquois, puis une profusion
de roses, de myosotis et de papillons. Sur deux des principaux panneaux se voient
deux couples de colombes, échappées aux bosquets de Trianon et [aux myrtes de
Louveciennes. Deux autres panneaux représentent des cygnes, souvenir de Léda, sans
doute. Le reste de la décoration du boudoir ne consiste qu’en banderoles de fleurs où
d’élégants papillons viennent, en voltigeant deux par deux, se nourrir du suc de la
rose.

Au fond du boudoir, dans l’alcôve enguirlandée de myrtes, le système d’orne-
mentation est tout autre. Plus de fleurs, plus d’oiseaux, mais des glaces chargées de
répéter, en les multipliant, les charmes de la maîtresse du logis.