24* COMMENTARIA DE AVITI QUIS SCALPTORIBUS
garantir des dangers où l'expofok la famine. Maldonata, c'étoit le nom de la transfuge, après
avoir erre quelque temps dans des routes inconnues & défertes, entra dans une caverne pour
s'y repofer de fes fatigues. Quelle fut fa terreur d'y rencontrer une lionne, & fa furprlfe, quand
elle vit cette bete formidable s'approcher d'elle d'un air à demi tremblant, la carefler, & lui
lécher les mains avec des cris de douleur plus propres à l'attendrir qu'à l'effrayer. L'Efpagnole
s'appercut bientot que la lionne étoit pleine,& que fes gémiflèmens étoient le langage d'une mere
qui réclamoit du fecours pour fé déiivrer de fon fardeau. Maldonata aida à la nature dans ce
moment douloureux, où elle femble n'accorder qu'à regret à tbus les étres naiflans le jour, 8c
cette vie qu'elle lui laifie refpirer fi peu de temps. La lionne heureufement delivre'e va bientot
chercher une nourriture abondante & l'apporte aux pieds de fa bienfaiftrice. Celle-ci la par-
tageoit chaque jour avec les jeunes lionceaux, qui ne's par fes foins & élevés avec elle, fem-
bloient reconnoitre par des jeux & des morfures innocentes un bienfait que leur mere payoit
de fes plus tendres emprelTemens. Mais quand l'age leur eut donne l'inftincr. de chercher eux-
mémes leur proie avec la force de l'atteindre & de la dévorer, cette famille fé difperfa dans
les bois, & la lionne que la tendreiTe maternelle ne rappelloit plus dans fa caverne, difparut
elle-méme, & s'e'gara dans un défert que fa faim dépeuploit chaque jour .
Maldonata feule & fans fubfiftance fé vit réduite à s'éloigner d'un antre redoutable à tant
d'étres vivans, mais dont fa pitie avoit fu lui faire un afyle. Cette femme privée avec dou-
leur d'une fociéte' che'rie, ne fut pas long-temps errante, fans tomber entre les mains des lau-
vages Indiens. Une lionne l'avoit nourrie, & des hommes la firent efclave. Bientot après elle
fut reprife par les Efpagnols qui la ramenerent à Buenos-Ayre. Le Commandant, plus feroce
lui feul que les lions & les fauvages, ne la crut pas fans doute affez punie de fon e'vaiìon par
tous les dangers & les maux qu'elle avoit effuyé. Le barbare ordonna qu'elle fut attachee a un
arbre au milieu d'un bois pour y mourir de faim, ou devenir la pature des monftres dévorans.
Deux jours après, quelques foldats allerent favoir la deftinee de cette malheureufe vifti-
me. Ils la trouverent pleine de vie, au milieu des tigres arFamés, qui, la gueule ouverte fur
cette proie, n'oloient approcher devant une lionne couche'e à fes pieds avec des lionceaux.
Ce fpeftacle frappa tellement les foldats, qu'ils en étoient immobiles d'attendriifement & de
frayeur. La lionne en les voyant s'éloigna de l'arbre, comme pour ieur laifler la liberté de
de'lier fa bienfaiftrice. Mais quand ils voulurent l'emmener avec eux, l'animai vinta pas lents
confìrmer par des carefles & de doux ge'miffemens les prodiges de reconnoiffance que cette
femme racontoit à fes libe'rateurs. La lionne fuivit quelque temps les traces de l'Efpagnole
avec fes lionceaux, donnant toutes les marques de regrets & d'une véritable douleur qu'une
famille fair e'clater, quand elle accompagne jufqu'au-vaitTeau un pere, ou un fils chéri, qui s'em-
barque d'un port de l'Europe pour le nouveau monde d'où peut-ètre il ne reviendra jamais.
Le Comandant inflruit de toute l'aventure par fes foldats, & ramené par un monftre des
bois aux fentimens d'humanite' que fon cceur farouche avoit de'pouillés, fans doute en paflànt
les mers, laifla vivre une femme que le ciel avoit li viiiblement protégee.
CANIS
garantir des dangers où l'expofok la famine. Maldonata, c'étoit le nom de la transfuge, après
avoir erre quelque temps dans des routes inconnues & défertes, entra dans une caverne pour
s'y repofer de fes fatigues. Quelle fut fa terreur d'y rencontrer une lionne, & fa furprlfe, quand
elle vit cette bete formidable s'approcher d'elle d'un air à demi tremblant, la carefler, & lui
lécher les mains avec des cris de douleur plus propres à l'attendrir qu'à l'effrayer. L'Efpagnole
s'appercut bientot que la lionne étoit pleine,& que fes gémiflèmens étoient le langage d'une mere
qui réclamoit du fecours pour fé déiivrer de fon fardeau. Maldonata aida à la nature dans ce
moment douloureux, où elle femble n'accorder qu'à regret à tbus les étres naiflans le jour, 8c
cette vie qu'elle lui laifie refpirer fi peu de temps. La lionne heureufement delivre'e va bientot
chercher une nourriture abondante & l'apporte aux pieds de fa bienfaiftrice. Celle-ci la par-
tageoit chaque jour avec les jeunes lionceaux, qui ne's par fes foins & élevés avec elle, fem-
bloient reconnoitre par des jeux & des morfures innocentes un bienfait que leur mere payoit
de fes plus tendres emprelTemens. Mais quand l'age leur eut donne l'inftincr. de chercher eux-
mémes leur proie avec la force de l'atteindre & de la dévorer, cette famille fé difperfa dans
les bois, & la lionne que la tendreiTe maternelle ne rappelloit plus dans fa caverne, difparut
elle-méme, & s'e'gara dans un défert que fa faim dépeuploit chaque jour .
Maldonata feule & fans fubfiftance fé vit réduite à s'éloigner d'un antre redoutable à tant
d'étres vivans, mais dont fa pitie avoit fu lui faire un afyle. Cette femme privée avec dou-
leur d'une fociéte' che'rie, ne fut pas long-temps errante, fans tomber entre les mains des lau-
vages Indiens. Une lionne l'avoit nourrie, & des hommes la firent efclave. Bientot après elle
fut reprife par les Efpagnols qui la ramenerent à Buenos-Ayre. Le Commandant, plus feroce
lui feul que les lions & les fauvages, ne la crut pas fans doute affez punie de fon e'vaiìon par
tous les dangers & les maux qu'elle avoit effuyé. Le barbare ordonna qu'elle fut attachee a un
arbre au milieu d'un bois pour y mourir de faim, ou devenir la pature des monftres dévorans.
Deux jours après, quelques foldats allerent favoir la deftinee de cette malheureufe vifti-
me. Ils la trouverent pleine de vie, au milieu des tigres arFamés, qui, la gueule ouverte fur
cette proie, n'oloient approcher devant une lionne couche'e à fes pieds avec des lionceaux.
Ce fpeftacle frappa tellement les foldats, qu'ils en étoient immobiles d'attendriifement & de
frayeur. La lionne en les voyant s'éloigna de l'arbre, comme pour ieur laifler la liberté de
de'lier fa bienfaiftrice. Mais quand ils voulurent l'emmener avec eux, l'animai vinta pas lents
confìrmer par des carefles & de doux ge'miffemens les prodiges de reconnoiffance que cette
femme racontoit à fes libe'rateurs. La lionne fuivit quelque temps les traces de l'Efpagnole
avec fes lionceaux, donnant toutes les marques de regrets & d'une véritable douleur qu'une
famille fair e'clater, quand elle accompagne jufqu'au-vaitTeau un pere, ou un fils chéri, qui s'em-
barque d'un port de l'Europe pour le nouveau monde d'où peut-ètre il ne reviendra jamais.
Le Comandant inflruit de toute l'aventure par fes foldats, & ramené par un monftre des
bois aux fentimens d'humanite' que fon cceur farouche avoit de'pouillés, fans doute en paflànt
les mers, laifla vivre une femme que le ciel avoit li viiiblement protégee.
CANIS