R E F A C E.
E toutes les raisons que l'homme peut avoir pour s'estimer heureux de
n'être pas refté dans le néant, & pour Te féliciter de sbn être, le piat-
fir de vivre dans un siecle éclairé n'cst pas la moindre. La penfée est
le plus beau présent que nous ayons reçu de la Nature, & nous ne
goûtons le bonheur de notre Espece qu'autant que nous saifons un bon
usage de notre elprit. Nos sens ne nous procurent qu'une volupté
consuse, parsagere, & qui, pour peu qu'elle excède, eft toujours dangereufe (bit
pourlafanté, foit pour la réputation. Les jfeuls plaisirs de l'elprit font purs & soli-
des : c'est qu'ils ccnfistent dans la recherche ou dans Pacquifition de la Vérité,
laquelle étant fimple, uniforme , invariable, nous caufe de douces & de sixes im-
prefïïons.
Je ne suis pas pour ceux qui ne se lalfent point d'admirer les clartez & les lumières
de notre siecle. Nous vivons dans un tems où l'on adhère à des contradictions auûi
sormelles & aufli abfurdes, que l'on en ait jamais cru. Notre Monde est rempli de
dupes comme le Monde d'autrefois. Il ne fe formeroit pas sur la Terre une chimère
qui ne trouvât bon nombre de sauteurs & de partifansj en un mot, le premier des hom-
mes s'eft laiffé séduire, & probablement le dernier ne sera pas plus sage.
Il saut pourtant convenir à la gloire de nos contemporains qu'ils aiment les Livres &
laleéture. Jamais le goût ne sut plus savorable aux Ouvrages d'efprit: Les Sciences
& les beaux Arts font sur le trône; le Public non vulgaire en est insatiable,- son desir
s'irrite par l'abondance de la nouveauté : c'est une belle & louable sureur. Ce seroit
ici une occasion aftez naturelle pour comparer nos jeunes & modernes Muses avec les
vieilles & vénérables Mufes de l'Antiquité-y mais, outre que nous ne nous fentons pas
alsez nerveux pour entrer dans cette Lice, le refoect dû aux sameux Athlètes qui ont
lutté si glorieusement sur cette queftion nous la fait éviter. Qu'il me soit seulement
permis de dire que fi les Modernes n'ont pu avoir l'honneur de faire les premières dé-
couvertes dans la République des Lettres, ils s'en font bien dédommagez par les ri-
cheftes, & par les agrémens dontils ont relevé le travail des Anciens. Notre siecle jouît
même d'un bien dont il n'eft redevable qu'à fon invention, c'eft qu'il n'y a point de
belle connoissance, où l'on ne puiffe arriver par une route également unie & abrégée.
Nos Savans ont bien voulu confacrer leur précieux loifir à défricher les ronces & les
brousfailles de la Littérature ; & ils y ont heureufement réussi. De cette Source ont
coulé dans le Public tant de dodes volumes deftinez à l'inftru&ion de quelques jeunes
Princes, Ouvrages où l'érudition des Maitres brille par-tout, & où les illuftres Elevés
aprennent à mériter leur naisfance & leur rang.
De tous les foins qui concernent la culture de l'efprit humain, celui de le bien ap-
pliquer à l'Hiftoire tfeft pas le moins important. C'eft par cette étude qu'un habitant
du Monde s'instruit de tout ce qui s'eft pasfé sur ce grand théâtre. Comme il rapporte
aux idées qu'il a du saux & du vrai, 'du bon & du mauvais,du vice & de la vertu, tous-
les objets repréfentez dans le tableau de l'Hiftoire, chaque événement lui vaut une le-
çon, &s'étudiant, en quelque sorte, foi-même dans tous les hommes qui ont paisé
par la Terre, il n'y a rien sur quoi il nepume fe prescrire un modèle de conduite. C'est
ce qu'il fait lors que voyageant dans ce vafte paï's des évenemens fous la conduite d'un
fage guide, il ne marche point à la lueur d'un faux jour. On fait remarquer à cet
* ho m-