DISSERTATION
GENERALE
SUR
L'HISTOIRE DESPAGNE.
\ Esujet n'est pas moins riche que le
précèdent. Comme l'Elpagne a
eu plusieurs révolutions, il ne se
peut qu'elle ne sournme des épo-
ques considerables, & de grands
évenemens. Cette Région ne fait
pas une figure trop glorieuse
dans plusieurs siecles de l'Anti-
quité. Un seul endroit lui sait honneur. Cest qu'on
croit que ce païs étoit composé de plusieurs Etats in-
dépendance qui ne manquoient pas de courage pour
désendre leur Liberté. Soit saute de se bien enten-
dre , soit par une disette de Chess & de Généraux,
ces Peuples ont eu le malheur d'être souvent subju-
guez. Figurez-vous l'Elpagne dans un des coins de
l'Europe comme un Théâtre de spectacle & d'Ope-
ra, jamais Contrée n'a changé plus souvent de dé-
coration. Ces vieux tems-là etoient à peu près com-
me le nôtre ; le Genre humain étoit au pillage, &
la raifon du plus sort l'emportoit toujours. Or les
Espagnols étoient alors les gens du Monde les plus
malheureux ; ils ne pouvoient compter ni fur leur
nom, ni sur leur terrain. Après avoir été connus
long-tems dans le Monde sous le terme d'iberiens,
les Celtes s'avifènt de fortir de la Gaule pour s'em-
parer de l'Efpagne, & les vaincus forcez d'entrer
dans une communauté de nom avec leurs Conque-
rans surent apellez Celtiberiens. Cette Nation pafla
depuis par bien d'autres mains. Sa voisine Cartha-
se, cette République, qui auroit sait beaucoup plus
e mal sur la Terre, si elle n'avoit trouvé une Ri-
vale encore plus méchante qu'elle ; Carthage, dis-
je, donna des fers à notre Elpagne : ce fut même
là, si je m'en fouviens bien, que le Général de l'A-
sricaine fit jurer fur les sacrisices le célèbre Annibal
son fils de confacrer fa valeur & fa vie à la ruine
totale des Romains. Ceux-ci ne lailserent pas long-
tems l'Elpagne en la puilTance de leurs ennemis.
Rome entreprend d'arracher à Carthage une fi bon-
ne proye; elle y envoyé fes Légions pendant la fé-
conde guerre Punique, & Scipion ayant porté le coup
mortel à la République ennemie de la fienne, mit
prefque toute l'Efpagne fous le joug : ce sut une nou-
velle Province pour l'Empire, & une riche aquifi-
tion pour le Proconfulat. L^Efpagne étant tombée
fous la domination de Rome, dut confequemment
participer aux troubles & aux defordres de cette in-
quiète & tumultueufe Maitrehc. Elle prêta plus
d'une fois le champ à ces ambitieux Romains, qui
disputoient de la Monarchie univerfelle, & qui, com-
me s'ils euflent voulu venger TUnivers, déchiroient
le fein de leur Patrie dans la vue d'y commander
fans égal & sans compagnon. L'Elpagne sut fou-
vent arrosée du fang étranger & du fien pendant ces
éuneufes concurrences, & elle ne goûta le repos
qu'après qu'Auguste, lé meilleur des Tyrans, eut é-
teint le feu de la guerre civile, & celui de là sureur,
dans le torrent des dernières profcriptions.
Lors que parladestination d'une Providence, qui
élevé & renverse les Etats comme il lui plait ; lors
que, par la conduite balTe, sale & monftrueuse de
quelques Princes plus propres à s'enterrer dans un
lieu de débauche qu'à tenir le gouvernail d'une vaste
Monarchie ; lors que les parties de cet immenfe
Corps, nommé l'Empire Romain, commencèrent
à Fe démembrer, & à s'en aller par pièces , ce sut
dans ce tems-là que l'Espagne retomba dans de
nouveaux malheurs. Les sorces manquoient à son
usurpatrice, c'elt Rome que j'entens. Cette vieille
Lionne, parvenue à un âge décrépit, n'avoit plus de
vigueur, ses grifses étoient énervées, elleneferroit
plus, ses conquêtes lui échapoient de toutes parts.
Au lieu que Rome avoit été chercher prefque tou-
tes les Nations, il lèmbloit que la Terre eût sait
sortir de ses entrailles des Nations toutes nouvelles
pour piller Rome, & pour la ravager. L'Occident
fe vit inondé de troupes dont on n'avoit point ouï
oarler, & qui venoient on ne favoit d'où. Peut-
être ma conjecture eft-elle trop hazardée., mais pour
moi je m'imagine que deux chofes caufoient ces fu-
bites «Se sréquentes irruptions d'inconnus. Peu de
commerce, & beaucoup de paix. Ceft du moins la
seule raison dont j'aye pu me payer quand je-me fuis
interrogé sur ces épahTes & noires nuées de foldats,
oui couvraient tout un païs, comme s'ils yfussent
deseendus du Ciel. J'en juge par opposition à notre
tems. Il n'eft prelque plus poilible que des Nations
armées fe furprennent ainfi les Unes les autres. Grâ-
ces à l'avidité du gain, les hommes fe ConnoiiTent,
s'épient, s'obfervent ; ils ont des moyens infaillibles
pour être informez de leurs démarches réciproques,
& de leurs mouvemens mutuels. En vain, difoit
un bel esprit, le Créateur a-t-il féparé les hommes
pâr une merfpacieufe & difficile à traverfer ; l'amour
du profit a rendu cette difpofition inutile, la lon-
gue diflance n'empêche point les hommes dese cher^
cher, ils fe trouvent malgré l'éloignement le plus
frand, malgré le péril le plus affreux. Pourquoi
onc fe saifoit-il autrefois des apparitions d Armées ?
Pourquoi pleuvoit-il des Efeadrons? Ceft vrai-fem*
blablement que le Genre humain n'étoit pas encore
dans une fi grande correlpondance avec foi-même,
c'eft que le commerce n'étoit ni fi général, ni fi
étendu. Mais n'eft-ce pas plutôt à caufe qu'en ce
tems-là les guerres n'étoient ni fi sréquentes ni fi
meurtrières ? Une longue paix dans un climat fécond
multiplie les habitans ; mais à moins que la fertilité
du terroir, ou Tinduftrie delà Nation ne procurent
une abondance proportionnée au nombre des Patrio-
tes, cette Société n'eft riche qu'en hommes, & f3
S ri-
GENERALE
SUR
L'HISTOIRE DESPAGNE.
\ Esujet n'est pas moins riche que le
précèdent. Comme l'Elpagne a
eu plusieurs révolutions, il ne se
peut qu'elle ne sournme des épo-
ques considerables, & de grands
évenemens. Cette Région ne fait
pas une figure trop glorieuse
dans plusieurs siecles de l'Anti-
quité. Un seul endroit lui sait honneur. Cest qu'on
croit que ce païs étoit composé de plusieurs Etats in-
dépendance qui ne manquoient pas de courage pour
désendre leur Liberté. Soit saute de se bien enten-
dre , soit par une disette de Chess & de Généraux,
ces Peuples ont eu le malheur d'être souvent subju-
guez. Figurez-vous l'Elpagne dans un des coins de
l'Europe comme un Théâtre de spectacle & d'Ope-
ra, jamais Contrée n'a changé plus souvent de dé-
coration. Ces vieux tems-là etoient à peu près com-
me le nôtre ; le Genre humain étoit au pillage, &
la raifon du plus sort l'emportoit toujours. Or les
Espagnols étoient alors les gens du Monde les plus
malheureux ; ils ne pouvoient compter ni fur leur
nom, ni sur leur terrain. Après avoir été connus
long-tems dans le Monde sous le terme d'iberiens,
les Celtes s'avifènt de fortir de la Gaule pour s'em-
parer de l'Efpagne, & les vaincus forcez d'entrer
dans une communauté de nom avec leurs Conque-
rans surent apellez Celtiberiens. Cette Nation pafla
depuis par bien d'autres mains. Sa voisine Cartha-
se, cette République, qui auroit sait beaucoup plus
e mal sur la Terre, si elle n'avoit trouvé une Ri-
vale encore plus méchante qu'elle ; Carthage, dis-
je, donna des fers à notre Elpagne : ce fut même
là, si je m'en fouviens bien, que le Général de l'A-
sricaine fit jurer fur les sacrisices le célèbre Annibal
son fils de confacrer fa valeur & fa vie à la ruine
totale des Romains. Ceux-ci ne lailserent pas long-
tems l'Elpagne en la puilTance de leurs ennemis.
Rome entreprend d'arracher à Carthage une fi bon-
ne proye; elle y envoyé fes Légions pendant la fé-
conde guerre Punique, & Scipion ayant porté le coup
mortel à la République ennemie de la fienne, mit
prefque toute l'Efpagne fous le joug : ce sut une nou-
velle Province pour l'Empire, & une riche aquifi-
tion pour le Proconfulat. L^Efpagne étant tombée
fous la domination de Rome, dut confequemment
participer aux troubles & aux defordres de cette in-
quiète & tumultueufe Maitrehc. Elle prêta plus
d'une fois le champ à ces ambitieux Romains, qui
disputoient de la Monarchie univerfelle, & qui, com-
me s'ils euflent voulu venger TUnivers, déchiroient
le fein de leur Patrie dans la vue d'y commander
fans égal & sans compagnon. L'Elpagne sut fou-
vent arrosée du fang étranger & du fien pendant ces
éuneufes concurrences, & elle ne goûta le repos
qu'après qu'Auguste, lé meilleur des Tyrans, eut é-
teint le feu de la guerre civile, & celui de là sureur,
dans le torrent des dernières profcriptions.
Lors que parladestination d'une Providence, qui
élevé & renverse les Etats comme il lui plait ; lors
que, par la conduite balTe, sale & monftrueuse de
quelques Princes plus propres à s'enterrer dans un
lieu de débauche qu'à tenir le gouvernail d'une vaste
Monarchie ; lors que les parties de cet immenfe
Corps, nommé l'Empire Romain, commencèrent
à Fe démembrer, & à s'en aller par pièces , ce sut
dans ce tems-là que l'Espagne retomba dans de
nouveaux malheurs. Les sorces manquoient à son
usurpatrice, c'elt Rome que j'entens. Cette vieille
Lionne, parvenue à un âge décrépit, n'avoit plus de
vigueur, ses grifses étoient énervées, elleneferroit
plus, ses conquêtes lui échapoient de toutes parts.
Au lieu que Rome avoit été chercher prefque tou-
tes les Nations, il lèmbloit que la Terre eût sait
sortir de ses entrailles des Nations toutes nouvelles
pour piller Rome, & pour la ravager. L'Occident
fe vit inondé de troupes dont on n'avoit point ouï
oarler, & qui venoient on ne favoit d'où. Peut-
être ma conjecture eft-elle trop hazardée., mais pour
moi je m'imagine que deux chofes caufoient ces fu-
bites «Se sréquentes irruptions d'inconnus. Peu de
commerce, & beaucoup de paix. Ceft du moins la
seule raison dont j'aye pu me payer quand je-me fuis
interrogé sur ces épahTes & noires nuées de foldats,
oui couvraient tout un païs, comme s'ils yfussent
deseendus du Ciel. J'en juge par opposition à notre
tems. Il n'eft prelque plus poilible que des Nations
armées fe furprennent ainfi les Unes les autres. Grâ-
ces à l'avidité du gain, les hommes fe ConnoiiTent,
s'épient, s'obfervent ; ils ont des moyens infaillibles
pour être informez de leurs démarches réciproques,
& de leurs mouvemens mutuels. En vain, difoit
un bel esprit, le Créateur a-t-il féparé les hommes
pâr une merfpacieufe & difficile à traverfer ; l'amour
du profit a rendu cette difpofition inutile, la lon-
gue diflance n'empêche point les hommes dese cher^
cher, ils fe trouvent malgré l'éloignement le plus
frand, malgré le péril le plus affreux. Pourquoi
onc fe saifoit-il autrefois des apparitions d Armées ?
Pourquoi pleuvoit-il des Efeadrons? Ceft vrai-fem*
blablement que le Genre humain n'étoit pas encore
dans une fi grande correlpondance avec foi-même,
c'eft que le commerce n'étoit ni fi général, ni fi
étendu. Mais n'eft-ce pas plutôt à caufe qu'en ce
tems-là les guerres n'étoient ni fi sréquentes ni fi
meurtrières ? Une longue paix dans un climat fécond
multiplie les habitans ; mais à moins que la fertilité
du terroir, ou Tinduftrie delà Nation ne procurent
une abondance proportionnée au nombre des Patrio-
tes, cette Société n'eft riche qu'en hommes, & f3
S ri-